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Cezanne aux Amis des Arts en 1895

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Avant propos : A propos de l’accent aigu ou non sur le « e » de Cezanne suivez ce lien pour savoir pourquoi je n’en ai pas mis : societe-cezanne.fr


Est-il encore utile de présenter Paul Cezanne ? A priori, non. Toujours est-il que certains passages de sa vie peuvent nous avoir échappé. En effet, on a tendance à l’oublier, mais Cezanne a aussi exposé à Aix de son vivant. Oui, dans sa ville.


Une exposition :

Notamment lors d’une exposition organisée par la société des Amis des Arts créée en 1894 (1). Cette société existe toujours et présente toujours des expositions. Ses locaux sont actuellement situés au n° 26 sur le cours Mirabeau. Mais attention, à ses début l’adresse occupée était différente.

Les Amis des Arts se trouvaient alors au n°2 bis sur l’avenue Victor Hugo (2) (ces murs sont aujourd’hui occupés par l’hôtel Saint-Christophe). Les Amis des Arts n’occupent le cours Mirabeau que depuis le début du XXe siècle (3).

Voyons ce que nous annonce le document ci-dessous

Extrait du Mémorial d’Aix du 11 août 1895 – Bibliothèque Méjanes – Cote JX 0042

Hormis le fait que l’on apprend que le monument de Peiresc situé sur la place de l’université a été inauguré en novembre 1895, cet extrait du Mémorial d’Aix du 11 août 1895 nous apprend surtout que la société des Amis des Arts allait organiser une exposition du 3 au 25 novembre 1895. Ce document nous confirme par ailleurs l’adresse occupée à l’époque par les Amis des Arts et où allait se tenir cette exposition.

Et devinez quoi ? Cezanne allait y participer.


Comme un souci de placement :

La suite de l’histoire est relatée dans le National du 10 novembre 1895 (4). Cezanne y exposera deux toiles dont « La Sainte Victoire au grand pin » réalisée vers 1885-87.

Deux toiles, c’est peu me direz vous, mais il ne faut pas oublier que la réputation du peintre en ville à l’époque était bien loin d’être ce qu’elle est aujourd’hui.

Pour ne rien arranger, ses deux toiles, bien qu’exposées, ne l’étaient pas si bien que ça, voir pas du tout. Leur mise en valeur n’était vraiment pas leur point fort, voyez plutôt ce qu’en disait le journal :

Des personnes vous diront qu’un grand tableau est aussi bien placé lorsqu’il est loin et haut; à notre avis, erreur : un tableau qui n’est pas sur la cimaise est un tableau détrôné.

C’est ainsi que les deux tableaux de Mr Cezanne, gagneraient à être plus bas, surtout surtout sa vue de la vallée de l’Arc qui est de beaucoup son meilleur; sa peinture rencontre bon nombre d’incrédules qui ne veulent pas y reconnaître certaines qualités et qui n’y voient que l’impuissance ou le parti pris.

Mais un enfant ferait mieux vous disent-ils !
Soit, il ferait mieux mais (…) Cezanne, ici, peint d’une peinture un peu farceuse et drôle, mais le dessin, la forme et le ton font pardonner, par leur franchise, less caprices de son esprit.

Mr Cezanne fait ainsi, mais il a idée de faire ainsi et ne réussirait-il pas qu’il doit être considéré comme un artiste. Pour nous, nous nous arrêterons plus volontiers devant une de ses toiles que devant une toile bien blaireautée, dénuée d’esprit et pauvre de dessin.

Extraits du National du 10 novembre 1895

A croire que ses toiles avaient été placées là où il restait de la place…

Marcel Provence dans son ouvrage « Le cours Mirabeau »(5), écrit qu’à la fin de l’exposition, Cezanne « n’avait rien vendu et n’avait récolté que des rires ». C’est dire si à l’époque les choses étaient bien différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui.


Un tableau en cadeau :

A ce sujet, le poète et critique d’art aixois Joachim Gasquet relate une bien sympathique anecdote dans son ouvrage « Cezanne » paru en 1921 (7):

Joachim Gasquet, lui, avait apprécié les toiles de Cezanne lors de cette exposition mais ne l’avait encore jamais rencontré, son père connaissant le peintre, proposa alors au jeune Joachim alors âgé de 22 ans de lui présenter Paul Cezanne.

– Joachim Gasquet raconte :

Je n’étais rien, presque un enfant, j’avais vu dans une vague exposition aixoise deux paysages de lui, et toute la peinture m’était entrée dans les yeux. Ces deux toiles m’avaient ouvert le monde des couleurs et des lignes, et depuis une semaine je m’en allais enivré d’un univers nouveau (…) Mon père m’avait promis de me présenter à ce peintre bafoué de toute la ville…

La première rencontre entre Gasquet et Cezanne allait avoir lieu un dimanche à la terrasse de l’ancien Café Oriental (le Bistro Romain de nos jours, au n°13 sur le cours Mirabeau (6)) :

Je le devinais , là je m’approchais, je lui murmurais mon admiration.
Il rougit, il se mit à bégayer, puis il se redressa, me déchargea un regard terrible qui me fit rougir à mon tour, me brûla jusqu’aux talons.
 » – Ne vous fichez pas de moi, mon petit, hein ? »
Il ébranla le guéridon d’un formidable coup de poing, les verres tintèrent, tout chavira. Je crois que je n’ai jamais eu une plus grande angoisse.
Ses yeux se remplirent de larmes, ses deux mains m’empoignèrent.
« Assseyez-vous là… C’est ton petit, Henri? (dit-il en s’adressant à mon père) Il est gentil… »

Puis se tournant vers Joachim, Cezanne lui tint ces propos :

« Vous êtes jeune… Vous ne savez pas, vous. Je ne veux plus peindre. J’ai tout lâché. Écoutez un peu, je suis malheureux… Il ne faut pas m’en vouloir. Comment puis-je croire que vous coupez dans ma peinture pour deux toiles que vous avez aperçues, alors que tous ces… qui pondent de la copie sur moi n’y ont jamais vu goutte… Ah ! Il m’en ont fait du mal ceux là… »

Cezanne dit ensuite à Joachim une phrase que nombre d’entre nous auraient aimé entendre :

« C’est Sainte Victoire surtout qui vous a tapé dans l’œil. Voyez-vous ça ? Elle vous plait, cette toile… Demain elle sera chez vous… Et je la signerai… »

Extraits de « Cezanne » – Joachim Gasquet (1921)


La toile offerte à Joachim Gasquet :

Cezanne à donc offert sa Sainte-Victoire au grand pin à Gasquet. Cette toile existe toujours et fait actuellement partie des collections du Courtault Institute (8) à Londres.

La voici ci-dessous (9) :

Paul Cezanne : La Sainte Victoire au grand pin (1885-87) – Exposée en 1895 lors de l’exposition des Amis des Arts – Offerte à Joachim Gasquet

Sources :

(1) Mémorial d’Aix du 29 janvier 1894 – cote JX0042 (page 2, colonnes 2 & 3)
(2) Mémorial d’Aix du 11 août 1895 – cote JX0042 (page 2)
(3) Marcel (Joannon) Provence : Le cours Mirabeau (ed. 1976- page 296 – « N°26 les Amis des Arts »)
(4) Mémorial d’Aix du 10 novembre 1895 – cote JX0043 (page 2, colonne 2)
(5) Marcel (Joannon) Provence : Ibid. (page 297)
(6) Marcel (Joannon) Provence : Ibid. (page 100 – « N°13 »)
(7) Joachim Gasquet : Cezanne (1921)
(8) courtauld.ac.uk
(9) Photo de la peinture sainte victoire au grand pin : fr.wikipedia.org


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