L’ancien bassin de la gare – Son histoire et ses faits divers

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A force d’observer d’anciennes vues aériennes et d’anciens plans de la ville, j’ai eu le temps d’observer la ville d’autrefois en détails. L’un d’entre eux m’avais toujours un peu intrigué : un bassin. Alors oui, ça n’est qu’un bassin mais je suis curieux, c’est comme ça.

– Le voici ci-dessous sur une vue de 1930 :

Le bassin en question au nord-ouest d’Aix, quartier de la Chartreuse
– Photo : I.G.N. / Géoportail 1930

Autrefois situé au nord-ouest d’Aix, au bord de la voie ferrée, je ne savais pas trop à quoi il avait pu servir. Ceci jusqu’en décembre 2020, où l‘un des membres d’un groupe Facebook dédié au passé de la ville s’interrogeait sur la localisation d’un ancien bassin, où il allait se baigner il y a plusieurs décennies, et qu’il nommait « bassin de la gare ». Un bassin qui, malgré son nom, ne se trouvait pas du tout près de la gare, mais plus au nord.

Et c’est ainsi que, par un pur hasard, mon interrogation rejoignait la sienne : je savais où était autrefois ce bassin, et cette personne avait le nom des lieux (j’en ai profité pour le renseigner).

Suite à cette curieuse coïncidence, j’ai creusé d’avantage le sujet, et l’on peut désormais retracer l’histoire du bassin, autrefois situé du côté du quartier de la Chartreuse. Nous verrons aussi, plus bas dans l’article, une série de faits divers qui s’y sont déroulés.

Mais pour parler de ce sujet, il va falloir évoquer une petite partie de l’histoire du chemin de fer à Aix…


1877 – Une nouvelle gare pour Aix :

L’année 1877 marqua un grand changement dans la relation entre le train, la ville d’Aix et celle de Marseille. Certes, à Aix le train était là depuis 1856, mais le trajet pour Marseille imposait une correspondance via Rognac. Ce souci allait être rectifié dès 1877 grâce à un nouveau trajet direct d’Aix à Marseille.

Seulement voila, qui dit nouvelle ligne, dit nouvelle configuration. Il a donc fallu créer une nouvelle gare pour correspondre au tracé de la nouvelle voie et effectuer quelques modifications :

1 – La première gare d’Aix, qui accueillit des voyageurs et des marchandises dès 1856, se trouvait en contrebas de la Rotonde à l’emplacement actuel des Allées Provençales. A partir de 1877 elle fut désormais dédiée à l’accueil des marchandises et des bestiaux et ne fut totalement désaffectée qu’en 1980.
2 – Quant à la nouvelle gare créée en 1877, dédiée aux voyageurs, elle fut installée au sud de l’avenue des Belges. C’est celle qui existe toujours, le long de l’actuelle avenue Gustave Desplaces.

– Le plan ci-dessous illustre ce changement :

Le déplacement de la gare de voyageurs au sud de la ville en 1877
Plan (détail) : Achille Makaire (1897) / B.N.F. – Gallica – Lien vers le document original

Vous trouverez plus d’informations à ce sujet dans mon article consacré à l’ancienne gare d’Aix-en-Provence.


Une nouvelle configuration, donc de nouveaux besoins :

La création de la nouvelle gare, en 1877 à eu pour conséquence un besoin supplémentaire en eau car, rappelons-le, les trains fonctionnaient à la vapeur. Le précieux liquide était donc indispensable.

Si avoir de l’eau pour faire fonctionner les motrices était une nécessité, le fait qu’elle soit propre en était une autre, tout aussi indispensable. Il ne suffisait donc pas d’aller puiser directement dans le premier canal venu, car il fallait d’abord la laisser décanter au préalable quelque part avant de l’utiliser.

– – –

Fin 1876 / début 1877 – La création du bassin d’épuration pour la gare :

La compagnie P.L.M. (Compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée) fit ainsi construire au quartier de la Chartreuse un bassin d’épuration. Ce dernier était destiné à récupérer une partie des eaux du Verdon. L’eau, arrivant dans le bassin pouvait ainsi y reposer le temps de se clarifier.

Pour acheminer l’eau jusqu’à la gare, une canalisation longeait une partie de la voie ferrée puis passait par l’ancienne gare (désormais de marchandises), et arrivait enfin à la nouvelle. Ceci formant un trajet de presque deux kilomètres entre le bassin et la nouvelle gare de voyageurs, en pente douce.

Ces travaux débutèrent entre décembre 1876 et janvier 1877 (1 et 2)

Le plan ci-dessous est postérieur aux faits mais illustre les lieux et explications évoquées plus haut. L’eau, une fois purifiée, partait du bassin situé au nord et s’écoulait en aval vers le sud, passant d’abord par l’ancienne gare, puis arrivait à la nouvelle :

– Au nord : le bassin
– Au centre : l’ancienne gare de voyageurs, dédiée uniquement aux marchandises à partir de 1877
– Au sud : la nouvelle gare de voyageurs de 1877
– Image : © I.G.N. / Géoportail

– – –

Décembre 1877 – L’achèvement du bassin :

Après presque un an de travaux, le bassin fut achevé en décembre 1877. De forme circulaire et en pente douce à l’intérieur, il avait la particularité d’être séparé par une digue. Cette digue qui coupait le bassin en deux, formant en réalité deux réservoirs plus petits avait toute son utilité : elle permettait, si un bassin devait être vidé, d’en avoir toujours un autre plein, à disposition. Pas bête (3).

Après quelques manipulations j’en a déduit les mesures suivantes :
– Longueur du bassin et de la digue : env. 70 mètres ;
– Largeur de la digue : env. 3 mètres ;
– Largeur du bassin : env. 55 mètres ;
– Circonférence du bassin : env. 220 mètres ;
– Superficie totale de la structure : env. 3000 m²

Sur certains plans anciens et dans les mémoires, on le retrouve la plupart du temps nommé « Bassin de la gare », une curieuse dénomination mais qui prend désormais tout son sens quand on sait à quoi, et à qui il était destiné.

Le bassin, visiblement encrassé en 1960
– Photo : I.G.N. / Géoportail 1960

Ce bassin accueillit aussi quelques baigneurs, venant alors s’y rafraichir lors des chaudes journées d’été.

– – –

1969 : La disparition du bassin de la gare :

Ce bassin a existé jusqu’en 1969, période où il a disparu lors de l’aménagement du quartier et de la création de l’autoroute A51. On peut imaginer que son utilité se faisait de plus en plus nulle au vu de l’évolution technologique des trains.

Le montage ci-dessous montre le bassin en 1968, encore présent mais vidé, puis son emplacement en 1969, après sa disparition :

Le bassin était encore visible en 1968 mais plus en 1969
– Photos : I.G.N. / Géoportail 1968 et 1969

Le lieu exact où se trouvait se bassin est resté un terrain vague jusqu’en 1997, année où y furent construits des lotissements, le long de l’actuel chemin de Bouenhoure.

Ci-dessous, l’ancien emplacement du bassin par rapport à celui des immeubles construits en 1997 (immeubles symbolisés en rouge) :

Le lieu où se trouvait le bassin. Des constructions (tirets rouges) l’ont remplacé.
– Photos : © Google Earth et I.G.N. Géoportail / 1968

Un lieu et les faits-divers qui vont avec :

Un tel lieu, de part son isolement ou son danger potentiel ne peut qu’accueillir son lot d’affaires diverses dont voici un échantillon issu de la presse ancienne consultable sur le site de la bibliothèque numérique de la Méjanes :

– En septembre 1892, un homme originaire de Mulhouse, poussé par des soucis familiaux, tenta de se suicider près du bassin en se tirant une balle dans la tête (4). Par chance il a survécu, mais a perdu la vue. Ce qui ne l’empêcha pas d’aller réclamer son revolver à la mairie en sortant de l’hôpital… (5) L’histoire ne dit pas si on lui a rendu.

– En avril 1895, le corps d’un nommé Théodore Viscal, âgé de 65 ans, fut retrouvé dans le bassin où il s’est suicidé (6).

– En juin 1908, la presse évoquait le manque de sécurité des lieux, la cloture entourant le bassin étant défectueuse. De fait, les abords du bassin devinrent le lieu de rendez-vous des voleurs qui se « servaient » dans les terres avoisinantes, n’hésitant pas à insulter les propriétaires des lieux (7).

– En juillet 1908, un enfant âgé de 7 ans, nommé Marcel, tomba accident dans le bassin. Heureusement pour lui, il fut sauvé d’une mort certaine par un soldat du nom de Mr Berard (8).

– En mars 1914, une femme nommée Berthe Hours, âgée de 48 ans, originaire de Trets et résidant au n°4 de la rue Tournefort à Aix (où elle tenait un magasin de coiffure et de parfumerie), se suicida en se jetant dans le bassin de la gare, probablement par déprime. Son corps fut retrouvé à demi-nu. Avant son geste, elle avait préalablement enlevé ses chaussures et une partie de ses vêtements qui ont été retrouvés sur la berge du bassin.

– En octobre 1937 à proximité du bassin, le corps d’un italien âgé de 53 ans, Emilio Pettiti, fut retrouvé pendu à un arbre. L’enquête a conclu, là aussi à un suicide mais les causes n’ont pas été établies (10).

Malgré ces faits, le bassin de la gare faisait partie des lieux considérés comme les plus hygiéniques (avec l’Arc) pour la baignade les jours de fortes chaleurs l’été (11).


– Sources :
(1) Le Mémorial d’Aix du 4 janvier 1877 (page 2, colonne 4)
(2) Le Mémorial d’Aix du 24 juin 1877 (page 2, colonne 2)
(3) La Provence du 23 décembre 1877 (page 2, colonne 2)
(4) Le National du 25 septembre 1892 (page 3, colonne 2)
(5) Le National du 30 octobre 1892 (page 3, colonne 3)
(6) La Provence Nouvelle du 21 avril 1895 (page 2, colonne 4)
(7) Le National du 7 juin 1908 (page 2 colonne 1)
(8) Le Mémorial d’Aix du 12 juillet 1908 (page 2, colonne 3)
(9) Le Mémorial d’Aix du 12 mars 1914 (page 3, colonne 1)
(10) Le Mémorial d’Aix du 10 janvier 1937 (page 2, colonne 4)
(11) Le Mémorial d’Aix du 5 août 1928 (page 2, colonne 2)


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