Les fruits de l’arbre fatal

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Curieux titre n’est-ce pas ? Contrairement à ce qu’il peut laisser croire, nous n’allons pas parler ici de jardinage ni d’arboriculture, mais d’une pratique assez moche qui se serait déroulée à Aix-en-Provence au XVIe siècle.

Pour cela, direction le haut du Cours Mirabeau qui s’achève par la place Forbin, actuellement occupée par la Chapelle des Oblats bâtie à la toute fin du XVIIe siècle et plus anciennement, c’était le couvent des Carmélites qui y était installé depuis 1625.

La chapelle des Oblats, emplacement où se trouvait autrefois le jardin de Genas

Le lieu où cet édifice religieux fut construit pourrait être comme n’importe quel autre, un terrain sans grande importance, un simple champ comme il y en avait tant autrefois autour de la ville.

Mais penser cela serait vite oublier l’histoire du pin qui a, ou aurait existé il y a un peu plus de 400 ans à l’emplacement aujourd’hui occupé par cette chapelle.


Remontons le temps jusqu’au XVIe siècle :

A l’époque, le terrain où se trouve la chapelle se situait alors en dehors de la ville de l’époque (voir les cartes des évolutions d’Aix), et appartenait à François de Génas, Seigneur d’Eguilles et conseiller au Parlement d’Aix.

François de Génas était surtout huguenot (le nom donné aux adeptes du protestantisme en France à l’époque) et vers 1559, n’ayant aucun bâtiment assez vaste pour accueillir des prêches il se se mit à organiser, avec d’autres protestants, ces rassemblements sur son terrain.

Désormais, c’est donc sous un fameux pin, dit de Génas (situé là où se trouve aujourd’hui la chapelle des Oblats) qu’ils avaient alors pris pour habitude de se réunir pour pratiquer leur culte.

Il faut rappeler qu’à l’époque, catholicisme et protestantisme ne faisaient guère bon ménage, et les atrocités commises au nom de la religion dans la région étaient sans limites

Ce fameux pin dont nous parlons, fut sans doute le théâtre des pires atrocités commises à Aix en la matière. Et vers 1562, il fut choisi comme symbole pour pendre ceux qui allaient prêcher sous ses branches. Des dizaines de personnes y auraient été pendues, sans distinctions d’âge ni de sexe.

Pour reprendre les propos d’Ambroise Roux-Alpheran (qui, je le précise, n’était pas contemporain des faits) :

 « Chaque matin, (…) l’arbre fatal portait de nouveaux fruits… ».

On raconte l’histoire d’une certaine Melchionne, qui pour avoir tenté de vendre des psaumes de Clément Marot fut « …percée de coups de couteaux, et pendue encore vivante par les pieds à l’une des branches du pin de Génas… » inutile de préciser qu’elle n’y a pas survécu.

On raconte encore l’horrible fin de Jean Salomon, conseiller à la Cour et lui aussi adepte de la nouvelle religion qui, se rendant de chez lui au Palais Comtal fut poursuivi par la foule. Le pauvre homme essaya bien de se cacher dans le cloître du couvent des Prêcheurs, mais peine perdue, il y fut poursuivi et aussi atrocement assassiné.

En 1564, le roi Charles IX séjournant à Aix eu vent des atrocités commises en ce lieu, et ordonna qu’on abatte cet arbre à la réputation désormais ternie à jamais.


Qu’en penser ?

Aussi surprenant que cela puisse paraître cette histoire est tout à fait envisageable. Car comme dit plus haut, les atrocités commises au nom de la religion étaient à l’époque (et même avant, et toujours un peu maintenant aussi) sans limites.

De plus, ce pin fut indiqué sur une gravure de 1575 figurant Aix au XVIe siècle.

Il comporte une liste qui y indique divers lieux présents sur le plan par des numéros mais je ne suis pas parvenu à retrouver le numéro 18 associé à l’appellation Jardin du Pin qui y est présente.  Et si l’on observe à l’endroit où il aurait pu se trouver (près de l’ancienne porte Saint-Jean), on retrouve effectivement un arbre isolé et plus grand que les autres comme pour le mettre en évidence sur la gravure.

Je vous ai fait un petit montage où tout est indiqué en rouge sur l’image ci-dessous, cliquez sur l’image pour l’agrandir. – Cliquez ici pour la voir en hd sur le site de la BNF.

Portrait de la ville d’Aix par F. de Bellforest – 1575 – © BNF / Gallica – (Cliquez sur l’image pour la voir en grand – Cliquez ici pour la voir en hd sur le site de la BNF).

A propos de ces faits, Roux-Alpheran écrivait :

on n’y croirait peut-être pas, si, de nos jours, nous n’avions été témoins de semblables atrocités qui prouvent que les hommes sont toujours les mêmes lorsqu’ils se laissent aveugler par leurs passions…

Ambroise Roux-Alpheran – Les rues d’Aix 1846-1848

Comprendra qui voudra.


Sources
 – Ambroise Roux Alpheran : Les rues d’Aix – Tome 2 – 1848 (chap. Place des Carmélites – pages 223 à 226 sur l’édition de 1985 au Presses du Languedoc).
– Louis Méry : Histoire de Provence – 1830-1837 – (ici, réédition de 1857, vol. 4, page 50).
– Plan d’Aix en 1575 : Gallica


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