Pour cet article, nous allons nous éloigner quelque peu du centre d’Aix pour nous rapprocher du village des Milles, là où se dresse de nos jours la zone commerciale de la Pioline.
Peut-être faites-vous partie de la foule de clients qui se pressent chaque semaine au centre commercial Carrefour d’Aix-Les-Milles? Vous connaissez sûrement par cœur ses allées et les moindres recoins de ses rayons mais saviez-vous qu’une briqueterie se trouvait là, avant l’installation de cette grande surface ?
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Pour cet article, nous allons utiliser plusieurs photos aériennes anciennes.
Afin que vous n’ayez pas de difficultés pour vous repérer, j’ai appliqué quasiment le même cadrage à chaque comparaison.
Ainsi, en plus de facilement se repérer, il sera plus aisé de remarquer les divers changements que le lieu a connu en quelques décennies.
1913 – Là où tout a commencé :
Quand on évoque le mot « tuilerie » ou « briqueterie » aux Milles, on pense immédiatement à celle qui se trouve le long du chemin de la Badesse, mais en réalité il en eu deux.
Celle qui est majoritairement restée dans les mémoires, c’est celle qui accueille aujourd’hui le Mémorial du camp des Milles, elle fut fondée en 1882 par la Société des Tuileries de la Méditerranée et ça n’est justement pas de celle là dont je vais vous parler (je la mentionne uniquement pour ne pas créer de confusion).
Car il y en eu une seconde, plutôt oubliée, qui fut inaugurée 31 ans plus tard, le 12 novembre 1913. Elle se trouvait près de l’ancienne entrée du village à l’est, à l’emplacement qu’occupent aujourd’hui Carrefour et une partie de ses parkings. Cette usine resta bien peu de temps en activité comparée à l’autre et nous verrons pourquoi plus loin dans l’article.
Pour commencer, quoi de mieux qu’une photographie de cette usine en 1933, année durant laquelle elle était encore en activité. Pour vous aider à vous repérer voici un avant / après :
Difficile de se dire que c’est le même endroit, et pourtant ! Les deux clichés ci-dessus ont le même cadrage.
12 novembre 1913 – L’inauguration de la briqueterie :
Il nous reste beaucoup de détails de l’inauguration de cette tuilerie car elle fut relatée dans le Mémorial d’Aix du 16 novembre 1913 (voir sources). L’article avait pour nom : « Une nouvelle tuilerie ».
Comme je l’ai mentionné précédemment, la tuilerie déjà existante datée de 1882 fut fondée par la Société des Tuileries de la Méditerranée, ce qui n’était pas le cas de la seconde et nouvelle tuilerie appartenait à la Société des Tuileries et Briqueteries Aixoises à ses débuts.
Le Mémorial d’Aix évoquait alors :
…l’inauguration de la nouvelle tuilerie des Milles édifiée entre Parade et le village… – (NDLR : à l’époque on ne disait pas « la » Parade mais très souvent juste « Parade ».)
La « petite usine » comme l’appelaient les millois, n’était alors bâtie que depuis quelques mois lors de son inauguration en ce jour automnal. Bien du monde s’était rassemblé pour sa mise en route. Etaient présent : les actionnaires, les entrepreneurs accompagnés de leurs familles ainsi que (tel que le mentionnait le journal) :
…quelques invités de marque auxquelles s’étaient jointes de nombreuses dames….
Ca ne se fait plus de jours, mais le curé du village était aussi présent afin de bénir l’usine (et oui !). Suite à cela, les machines furent mises en routes et l’on pouvait lire dans l’article :
…ce fut merveille de voir les grosses mottes de terre déchiquetées, broyées, malaxées et converties en briques et en tuiles par un puissant appareillage mécanique…
S’en est suivi un repas accompagné de discours bien applaudis de la part des politiques de l’époque : le conseiller général des Milles ainsi que le conseiller général du canton sud. Le tout, sans oublier une spirituelle allocution de la part du curé de la paroisse des Milles.
L’usine d’un point de vue technique :
Pour l’époque, les machines étaient très perfectionnées et tout comme la société qui était aixoise, les machines l’étaient aussi, car fabriquées dans des ateliers de la ville. C’était aussi le cas des boiseries, des bâtiments et du four d’où émergeait une haute cheminée dressée vers les cieux. La direction de la fabrication, elle aussi était locale. A son ouverture elle fut en effet confiée à un certain Mr Geydon qui semblait être un céramiste bien connu aux Milles.
Et la force motrice ? Elle aussi était locale : elle était fournie par l’entrepôt des tramways qui se trouvait au Pont-de-l’Arc.
Cette usine intégralement locale de sa fondation en passant par sa direction et sa production semblait être une grande fierté si l’on s’en tient à l’article d’époque.
Le minerai de l’usine :
Fabriquer, c’est bien, mais encore faut-il avoir de la matière.
A la différence de la « grande tuilerie » du chemin de la Badesse qui était alimentée en minerai issu des carrières situées au nord du village près du chemin de la Couronnade ; la petite usine, elle, était fournie en minerai provenant de deux carrières situées au sud de l’usine. En nous basant sur un plan des années 1935-1936, on y observe deux carrières :
– l’une assez proche, de l’autre côté de la route principale ;
– et une autre située à environ 1.5 km plus au sud qui se trouvait le long de la route de Gardanne passant par Luynes au lieu-dit « La Grande Bastide ».
Le plan ci-dessous, daté de 1935-1936 indique l’usine en rouge et les deux carrières en orange :
– Petite évolution à noter : Entre temps et jusqu’à la fin de son existence, la « maison mère » de la petite usine changea : ça n’était plus la Société des Tuileries et Briqueteries Aixoises mais la société des Tuileries Saint-Henri.
1942 : L’usine occupée par les allemands :
En 1939, la seconde guerre mondiale débuta et à la déclaration de la guerre la production fut stoppée. A partir de 1942, la présence allemande dans les environs mettre un terme à son existence.
En effet, comme partout en France lors de l’occupation, les soldats allemands s’attribuèrent nombre de propriétés, terrains et usines pour y installer leurs troupes et matériels. Ce qui fut le cas de cette usine que l’ennemi transforma en dépôt de carburant.
En 1944, lors de leur fuite, au risque de laisser leur équipement entreposé aux mains des alliés, les soldats allemands incendièrent la totalité des bâtiments, ce qui eu pour résultat de réduire à l’état de ruine la majorité des locaux de l’usine.
Trente ans après son inauguration, la tuilerie n’était désormais plus.
Après la guerre – Le renouveau :
Malgré la quasi destruction de la petite usine lors de l’incendie, tout ne fut pas perdu car une petite partie des bâtiments était encore debout.
Par ailleurs, ces vestiges furent d’une certaine utilité car certains habitants du village en auraient profité pour aller en récupérer des pierres.
Sur la photo ci-dessous, nous voyons l’état des restes de l’usine en 1955 environ 10 ans après sa destruction. Il n’en restait pas grand chose mais certaines dépendances, notamment le long hangar (le seul avec un toit sur la photo) fut préservé. Il fut alors réutilisé pour de la fabrication de carrelages :
– Détail marquant : au milieu de ces vestiges industriels se dressait toujours, malgré le chaos subi, la haute cheminée de l’ensemble figée au beau milieu des restes.
Visible de loin, elle était toujours là à projeter son ombre que l’on peut observer sur la photo ci-dessous datée de 1966 et sur l’agrandissement dans l’angle du cliché :
Les années 70 – Le changement avec une grande surface :
Toutes les bonnes choses ont une fin, les vestiges de cette tuilerie devaient également connaître leur fin définitive cette fois-ci. Celle-ci arriva au croisement des années 60 et 70.
Les prémices de ce qui allait devenir l’actuelle zone commerciale de la Pioline commencèrent alors à pointer le bout de leur nez par l’intermédiaire d’une nouvelle construction bâtie à l’emplacement même de cette petite usine : une grande surface.
Les travaux de construction du nouveau magasin furent, titanesques. Destruction, remblaiement, nivelage, etc.
A son ouverture, le 25 août 1971, la grande surface portait le nom d’Escale. Elle couvrait alors une surface de vente de 7000m² et possédait un parking de 2000 places. Elle devint un Euromarché le 4 avril 1972, puis passa sous l’enseigne Carrefour en 1992.
– Sur la photo ci-dessous, datée de 1971, soit l’année d’ouverture, on ne peut que constater les changements des lieux :
Ce qu’il reste de l’usine de nos jours :
Rien, ou presque.
Entre temps le décor a changé, la voie rapide a fait son apparition et de nouveaux accès ont été implantés. Du fait de ces nouveaux accès, de nouveaux rond-points ont été ajoutés, dont celui qui se trouve au croisement entre l’avenue Guillaume du Vair (entre le magasin et l’Arc) et l’accès au parking de Carrefour.
En février 2016, la municipalité a annoncé avoir nommé ce rond point « rond-point de la petite usine » en souvenir du lieu :
Les tracés des cours d’eau modifiés :
Autant de modifications urbaines ont forcément impactés les environs, en particulier le tracés des cours d’eau environnants. Là encore, nous utiliserons des comparaisons dont les clichés respectent le même angle de vue pour s’y retrouver :
– L’Arc :
Ce cours d’eau passe tout juste au nord de Carrefour, mais si l’on regarde bien sur des photos anciennes, on constate qu’autrefois son tracé était bien moins rectiligne qu’aujourd’hui.
Le montage ci-dessous compare le tracé plutôt courbe en 1933 et le tracé actuel bien plus droit :
On peut supposer que cet alignement date du début des années 80 lors de la création du tronçon de l’avenue Guillaume du Vair qui passe entre les réserves du magasin et l’Arc.
– La Luynes :
A la voir comme ça, elle ne paie pas de mine mais saviez-vous qu’avant de finir sa course dans l’Arc, ce petit ruisseau traverse trois communes sur un tracé long de près de 19 km? Elle étroite et discrète et pourtant, c’est elle qui posa visiblement le plus de soucis quand on voit à quel point son tracé fut modifié lors de l’installation du magasin.
Pour preuve, voyez le montage ci-dessous entre une vue de 1955 et une vue actuelle. On y voit que le tracé de la Luynes (qui de nos jours va droit vers le nord), suivait à l’origine un tracé plus long et tout en courbes en direction du nord ouest :
Sur la vue actuelle ci-dessous, en replaçant l’ancien tracé de la Luynes (en rouge), on voit qu’elle passait là où se trouvent aujourd’hui la station service, l’un des parkings couvert ainsi qu’une partie du magasin. Le tracé actuel (en jaune) est plus direct :
La départementale 9 :
On ne peut pas parler de ce lieu sans évoquer le chemin qui le longeait : l’actuelle départementale 9 (la voie rapide) qui mène à la grande surface.
A l’origine, il y avait une voie que l’on nommait il y a bien longtemps « le chemin de Martigues » car il partait justement d’Aix pour mener à Martigues en passant par les Milles et bien d’autres villages. Le tracé de cette route existe toujours dans le village (et ailleurs aussi) car il emprunte les actuelles avenues Frédéric Mistral et Amouriq aux Milles.
Ce chemin a changé de nom a plusieurs reprises :
– En 1813, il fut renommé « Chemin départemental n°6 » (D6) ;
– En 1904, il fut de nouveau renommée e « Chemin de grande communication n°15 » (GC15) ;
– Enfin, en 1938, il gagna son appellation de route départementale n°9 (D9).
Vers 1966-68, le tracé fut modifié sur une portion. La route contourna désormais le village des milles par le sud, à partir de là où se trouve Carrefour à l’est, jusqu’à rejoindre le tracé original qui reprenait au niveau du cimetière du village à l’ouest.
Cette portion qui contournait le village, qui n’était qu’une simple route de campagne à deux voies dans un premier temps, fut considérablement élargie entre 1975 et 1977, pour obtenir l’apparence que nous lui connaissons aujourd’hui.
Pour finir :
A part le nom du rond-point, il ne reste plus rien du tout de cette usine qui fonctionna durant un peu moins de trois décennies et dont les constructions restèrent en place durant presque 60 ans, du moins, pour les parties les plus solides d’entre elles.
Et si vous vous demandiez où elle se situerait précisément aujourd’hui par rapport à Carrefour, il suffit d’observer le montage que j’ai réalisé ci-dessous à partir de photos cadrées exactement de la même manière. On y voit que cette « petite usine » et ses terrains, encadrée en rouge occupaient presque un tiers de l’espace bâti actuel :
– Sources :
Pour les vues aériennes anciennes : Remonter le temps (service de Géoportail)
Le Mémorial d’Aix du 16 novembre 1913 – Page 2 – (Bibliothèque Méjanes)
A propos de la première tuilerie de 1882 (l’actuel Mémorial du camp des Milles)
A propos de l’occupation de la zone sud : ajpn.org
A propos des noms du Carrefour des Milles : lsa-conso.fr
A propos des noms du Carrefour des Milles (bis) : Nicole Vaudour – Euromarché les Milles (1974)
A propos du rond-point renommé : aixenprovence.fr
A propos de la Luynes : Wikipedia : La Luynes
A propos de la départementale 9 : routes.wikia.com
J’adresse un grand merci aux personnes qui m’ont apportées leurs témoignages et leurs souvenirs.
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