L’Hôpital de la Miséricorde

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Direction la place de l’Hôtel de Ville où nous allons nous attarder sur un établissement qui se trouvait le long de sa ligne orientale à l’emplacement de l’actuel N°22.

La façade du N°22 sur la place de l'Hôtel de Ville d'Aix
La façade du N°22 sur la place de l’Hôtel de Ville d’Aix

Sous l’une des fenêtres, on distingue encore une bien discrète et curieuse inscription où l’on peut lire « Maison de Secours » (encadrée en rouge sur la photo ci-dessous).

L'inscription "Maison de secours" sous la fenêtre du N°22
La petite et discrète inscription (encadrée en rouge sur la photo) se trouve sous une fenêtre

Cette inscription est tardive et ne remonte qu’aux XVIIIe-XIXe siècles bien après la création du lieu d’accueil qui s’y trouvait à l’origine. En réalité, il faut remonter beaucoup plus tôt dans le temps, plus précisément à la toute fin du XVIe siècle. C’est à cette période que fut établi en ces lieux l’Hôpital de la Miséricorde.

L'inscription du N°22 sur la place de l'Hôtel de Ville
L’inscription au N°22 est aujourd’hui à peine lisible

Le quartier et la ville au XVIe siècle :

Le quartier:
La configuration des lieux était bien différente: la place de l’Hôtel de Ville n’existait pas encore (elle ne fut percée qu’au XVIIIe siècle) et l’hôpital donnait alors sur l’ancêtre de l’actuelle rue Vauvenargues que l’on appelait alors « rue Donalari » (mentionnée dans l’article sur l’ancienne place aux Herbes).

Rue donalari 1666 emplacment de l'hôpital de la Miréricorde
Le quartier et l’emplacement de l’Hôpital de la Miséricorde au XVIIe siècle (vers 1666) – Plan: voir sources

La ville:
Au XVIe siècle, la ville elle aussi avait une toute autre configuration: point de Cours Mirabeau, de quartier Mazarin (moitié du XVIIe siècle) , ni de quartier Villeverte (début du XVIIe siècle).

Avant-propos :

– Avant d’aller plus loin, je dois préciser que pour rédiger cet article, j’ai voulu me baser sur des documents d’époque et pas sur des propos rapportés ça et là au fil du temps. Ceci afin d’avoir des indications les plus fiables possibles. Ma quête ne fut pas facile car de tels documents ne se trouvent pas si facilement. Je n’ai rien trouvé du XVIe siècle mais j’ai déniché un règlement présentant cette institution daté de 1688 et un autre de l’historien Pierre-Joseph de Haitze daté de 1709. Provenant des XVIIe et XVIIIe siècles, ils sont au final idéalement datés car déjà, ils sont contemporains des lieux et de plus ils ne présentent pas des lieux peu après leur installation et qui en sont à leurs balbutiements, ils permettent, au contraire, de nous retranscrire fidèlement l’organisation très bien rodée de l’hôpital alors installé dans cette rue depuis presque un siècle. Nous avons donc ici un état de cette institution telle qu’elle se trouvait à la fin du XVIIe siècle.
(Les documents sont consultables dans les sources) – 


L’accueil à l’Hôpital de la Miséricorde :

C’est en 1590 que fut fondé cet hôpital destiné au « soulagement des pauvres malades honteux et des invalides ». Axé sur la charité, on y accueillait, soignait, nourrissait et aidait financièrement nombre de personnes. Bien que la charité soit le maître mot, il fallait tout de même remplir certaines conditions pour y être admis. La première: être un bon chrétien. Cette première condition remplie, il fallait alors faire partie de l’une de ces trois catégories de personnes:

1 – Etre une personne malade. Peu importe leur qualité, leur origine à la condition qu’ils ne vivent pas seuls, auquel cas ils dépendaient alors de l’Hôtel-Dieu (l’actuel hôpital).
2 – Faire partie des « honteux ». Ce terme désignait les personnes ayant par le passé connu une bonne réussite professionnelle en ayant eu une vie aisée, et qui se sont retrouvées du jour au lendemain sans le sou. Il désignait aussi les filles étant en âge de se marier mais ne pouvant le faire en raison d’une dégradation brutale de la situation de leur famille. (Cette soudaine dégringolade financière avait pour effet de les rabaisser dans leur rang social et diminuait donc leur chances de trouver un mari.)
3 – Etre invalide. Dans cette catégorie que l’on appelait aussi les « payes mortes » figurait des aveugles, des personnes atteintes de tout les maux qu’engendrent la vieillesse ou des malades incurables dans l’incapacité de nourrir leur famille.

Une fois s’être reconnu dans l’une de ses catégories on pouvait faire une demande d’aide auprès de l’un des recteurs de l’hôpital. Ce dernier examinait alors de nouveaux critères: les raisons, les besoins, le niveau de pauvreté et les mœurs du demandeur. Une fois la demande acceptée, plusieurs informations étaient alors inscrites sur un registre: nom et surnom de la personne, nom de sa femme (si c’est l’époux le demandeur), nom du mari (si c’est la femme qui fait la demande), noms des parents (si les enfants sont demandeurs de l’aide). A ces informations venaient s’ajouter: leur qualité, la rue et la maison ainsi que le nombre d’enfants qui composent la famille. Ces étapes achevées, une second recteur examinait si la demande était acceptable ou non. Si la demande était refusée l’histoire s’arrêtait là.

En revanche si elle était acceptée, un calculait alors une pension basée sur certains critères comme le niveau de pauvreté, de handicap et/ou le nombre d’enfant. Une carte était alors remise au demandeur avec un numéro et une inscription écrite d’une façon connue uniquement de celui qui l’avait rédigée afin d’éviter toute fraude en cas de perte, de vol ou de décès de « l’allocataire ».

Ces nombreuses étapes nous démontrent le haut niveau d’organisation de cet établissement.


Les refusés d’office :

Les étrangers qui ne vivaient pas à Aix n’étaient pas reçus à l’Hôpital de la Miséricorde si leurs santé était jugée trop bonne et si ils ne pouvaient pas prouver qu’ils résidaient à Aix depuis au moins dix ans « maison, pot et feu ». Notons que si vous étiez valet ou servante, le règlement des dix années était différent car le temps passé en ville à tenir ces postes n’était pas compté. Ainsi, même en ayant passé vingt ans à Aix employé à l’un de ces postes, on ne pouvait bénéficier des services de l’hôpital…
Cependant, certaines femmes étrangères à la ville sur le point d’accoucher y était reçues et bénéficiaient de soins jusqu’à quinze jours après l’accouchement.


Les soins à l’Hôpital de la Miséricorde :

Pour ce qui est de la nourriture, les aliments qui reviennent le plus souvent sont la viande, le bouillon les œufs et le pain. Du côté des textiles, des habits étaient fournis aux pauvres, certains provenaient de dons. Comme celui d’une certaine Gabrielle d’Oraison (par testament du 14 Mai 1674) qui légua l’intégralité de son linge à l’hôpital ainsi qu’une partie de sa vaisselle d’argent afin que celle-ci soit vendue. On donnait aussi de l’argent, ces pensions étaient hebdomadaires. Pour pratiquer les soins, quatre médecins et autant de chirurgiens faisaient partie du personnel qui comprenait aussi trésoriers, secrétaires, servants, apothicaires, prêtres et des semainiers qui avaient pour rôle de rendre visite à certains demandeurs.


L’origine des fonds de l’hôpital :

Avec de telles dépenses en soins, pensions et alimentation, on peut se demander d’où venait l’argent nécessaire à l’existence de cette œuvre. La réponse est simple: grâce à des quêtes et des dons.

Tout les dimanche et lors de toutes les fêtes religieuses, les quatorze recteurs de l’hôpital se répartissaient chacun un certain nombre d’églises afin de couvrir toutes celles de la ville. Cette activité s’avérait être épuisante dans certains cas, car il fallait commencer dès la première messe et continuer sans s’arrêter jusqu’à la dernière de la journée. Là aussi l’organisation était de mise, en effet les recteurs s’assuraient d’avoir toujours de la monnaie sur eux au cas où l’un des donateurs ne souhaitait pas faire don de l’intégralité d’une grosse pièce.

Au début de l’existence de l’hôpital, la présence de ces recteurs pratiquant leurs quêtes dans les différentes paroisses dérangeait en quelque sorte, et il arrivait qu’ils soient troublés ou inquiétés lors de leur activité. Pour leur faciliter la tâche, un arrêté du 11 octobre 1667 mentionna que les recteurs avaient l’autorisation de pratiquer la quête dans toutes les églises et qu’il était, de ce fait, interdit d’exercer aucun troubles envers eux. (Un second arrêté du même type fut pris le 2 Mars 1730.)

En plus des quêtes, des sortes de tirelires (je n’ai pas trouvé le nom exact) étaient installées entre autre, chez les marchands, notaires, chirurgiens et d’autres commerçants de la ville. Cachetées du sceau de l’hôpital, celles-ci portaient la mention « pour les pauvres honteux et malades de Nôstre-Dame de la Miséricorde ». Leur contenu était récupéré quatre fois par an.

Des troncs venaient s’ajouter au précédents moyens. Au nombre de six, fermés à clef et sous la responsabilité de deux recteurs de l’hôpital, ils se trouvaient dans les plus importantes églises de la ville. L’argent de ces troncs n’était récupéré que deux fois par ans, lors des fêtes de Noël et celles de Pâques.


La nourriture servie à l’hôpital :

Comme mentionnée précédemment, la nourriture était principalement composée de bouillon, de viande d’œufs et de pain. Au commencements de l’hôpital, lorsque celui-ci n’avait pas encore ses propres locaux, il était fait dans des maisons particulières « par une femme », ce n’est que lorsque les recteurs ont acquis l’emplacement de la rue Donalari (l’actuelle rue Vauvenargues) que le bouillon put être réalisé sur place. Cette partie des dépenses s’avérait relativement coûteuse: 3000 livres au total pour la distribution, l’entretien des chaudrons, fourneaux et le salaire de la servante. En 1684, lors d’épidémies, le nombre de malades monta à 400, c’est ainsi que pas moins de dix moutons étaient quotidiennement mis au pot afin de satisfaire la demande.

Une anecdote à propos du bouillon:
Au XVIIIe siècle, la partie supérieure de l’actuelle rue de la Fontaine (dans le quartier Villeverte), porta longtemps le nom de rue de la Potière. Ce nom lui fut donné en raison d’une femme que l’on nommait la Potière, et qui préparait chez elle le bouillon destiné à l’Hôpital de la Miséricorde.

Fin de l’anecdote.

Pour ce qui est de la viande, la quantité servie était fixée à une demi livre par jour et par personne. Le pain quant à lui, était produit en grosse quantité: près de 4000 pains par ans. Une telle production engendrait des coûts considérables et pour aider l’œuvre de l’hôpital, les habitants faisaient parfois des dons élevés. Ainsi, une certaine Andrée Poucard (par testament daté du 14 Août 1638) et un certain Monsieur Navarre (par acte du 7 avril 1664) ont fait chacun un don de 1500 livres à l’hôpital, afin que cette somme soit utilisée à la fabrication de pains destinés aux pauvres. On retrouve aussi Gabrielle d’Oraison (voir plus haut) qui en plus d’avoir légué la totalité de son linge et une partie de sa vaisselle ajouta à son legs une somme de 3000 livres, là aussi destinées à la fabrication de pains.


Les décès à l’hôpital :

Aussi bien installé et organisé qu’il puisse être, cet hôpital comme n’importe quel autre n’était pas épargné par la mort. Ainsi fallait-il accompagner le défunt jusqu’au bout, ce qui était le cas. Les recteurs accompagnant les cortèges habillés de noir, portant des flambeaux et arborant les écussons de l’hôpital. Ces mêmes recteurs (par délibération du 20 Juin 1688) se proposaient d’accompagner les cortèges des défunts provenant de l’Hôtel Dieu (l’actuel hôpital) ou de l’Hôpital la Charité (là où se trouve aujourd’hui l’Ecole des Arts et Métiers) moyennant une aumône de 18 livres.


 Quelques chiffres sur l’hôpital en 1688 :

Abordons à présent la partie comptabilité plus en profondeur. En moyenne le budget de l’Hôpital de la Miséricorde représentait sur une année:

– 14500 livres pour les pensions
– 5000 livres pour la viande
– 1200 livres pour les gages de officiers
– 600 livres pour les drogues de l’apothicaire
– 450 livres de bois/charbon
– 300 livres d’œufs
– 100 livres de sel


 La fin du XVIIIe siècle, le changement :

Nous l’avons vu, cette œuvre jouissait de bons revenus, en partie grâce à de généreux donateurs. Cette situation continua encore quelques décennies jusqu’à la fin du XVIIIe siècle et l’arrivée de la révolution. La destinée de l’hôpital ne va pas être rose pour plusieurs raisons. On peut citer parmi celles-ci le fait qu’à cette période, l’état se soit souvent approprié les biens des hôpitaux, on peut aussi mentionner le fait que certains légataires aisés, autrefois heureux de faire quelques dons aient perdus depuis une grande part de leur richesse et qui par conséquent ne donnaient plus rien ou beaucoup moins. Le fait qu’ Aix ne soit désormais devenue qu’une simple sous-préfecture n’a pas aidé non plus. Tombé de bien haut, l’ancien Hôpital de la Miséricorde n’était plus que l’ombre de ce qu’il fut.

La quartier de l'hôtel de ville d'Aix en 1753 et l'emplacement de l'hôpital de la Miséricorde par Devoux
Le quartier au XVIIIe siècle peu avant la révolution (1753)
Plan: voir sources

En vertu de la loi du 7 Octobre 1796 (16 Vendémiaire An V), un bureau de secours et de bienfaisance à domicile fut établi dans les murs de l’ancien hôpital. Mais ce bureau ne pouvait aider qu’une infime quantité de nécessiteux par rapport à son ancêtre. La faute à des revenus beaucoup plus maigre. C’est de cette période et de ce bureau que date l’inscription mentionnée en début d’article et toujours visible de nos jours.

Ce bureau de secours resta à cet emplacement jusqu’en 1883, année où il fut déplacé à l’Hôtel de Châteaurenard, rue Gaston de Saporta, où se trouvaient alors les bureaux de l’aide sociale.


En conclusion :

Crée en 1590, cette œuvre occupa la maison de la rue Donalari (Vauvenargues) peu d’années après. Nous avons pu nous faire une idée de son organisation qui nous prouve que malgré l’époque, on savait déjà faire quelque chose de carré. Après deux siècles d’existence, la révolution a eu raison d’elle et bien que peu après on y ait crée le bureau de bienfaisance, rien ne fut jamais vraiment comme avant.

De nos jours le bâtiment existe encore, la façade a probablement changé entre temps. Cependant il reste cette plaque sous une fenêtre du N°22, qui désormais n’a plus de mystère pour vous. Une plaque presque effacée par le temps et les éléments, de petite taille et qui mérite qu’on lève bien les yeux si on veut bien l’observer.

Rien ne rappelant sur place ce qu’il y avait entre ces murs, il est difficile d’imaginer à quoi pouvait ressembler ce lieu à ces débuts, la place de l’Hôtel de Ville n’ayant été percée qu’au XVIIIe siècle. Il faut alors imaginer cette maison donnant alors sur une petite ruelle ayant ses arrières sur une petite rue qui est devenue l’actuelle rue Granet.

Mais comme un clin d’œil au passé, cette construction qui était autrefois un lieu d’aide au malades accueille aujourd’hui une pharmacie. Volontairement, ou pas, le passé fini toujours par resurgir d’une manière ou d’une autre…

Pour finir, ajoutons que si cette rue porte le nom de Vauvenargues c’est en raison du fait qu’au N° 26  se trouve la maison dans laquelle est né Luc de Clapiers, Marquis de Vauvenargues en 1715.


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Sources:

Institution et Règlements de l’Hôpital Notre Dame de Miséricorde (1688)
Pierre-Joseph de Haitze – Etat de l’Hopital La Misericorde (1709)
A propos du bureau de bienfaisance d’Aix – Archives Municipales (1800)
A propos de la Potière – Mémorial d’Aix du 30 juillet 1843 (page 3)
Pour en savoir plus sur Luc de Clapiers: richelme.free.fr
Jean-Paul coste – Aix en Provence et le Pays d’Aix (1981 – page 72)
Ambroise Roux-Alphéran – Les rues d’Aix Tome 1
Plan du XVIIe siècle: Pitton 1666 (Gallica)
Plan du XVIIIe siècle – Devoux 1753 (Wikimedia)


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