– Article publié initialement le 5 décembre 2014 – réécrit et augmenté le 12 mai 2020.
Le Pasino, inauguré en 2001 et remplaçant de l’ancien casino municipal, se trouve dans le quartier d’Encagnane, à l’ouest de la ville. Il fut construit à l’emplacement des derniers abattoirs de la ville. Mais ces derniers étaient loin d’être les premiers en ville.
Petit retour en arrière à propos des abattoirs et de leur localisations à Aix au fil du temps…
Au moins depuis le XIIIe siècle, la Saunerie :
La plus ancienne mention d’un lieu destiné à l’abattage d’animaux que j’ai pu retrouver à Aix remonte au XIIIe siècle, en 1217. Elle est rapportée par Jean Pourière (1).
A cette époque, on trouve la trace d’un quartier ou d’une rue dite « de la Saunerie » (un terme qui, dans ce cas, n’a rien a voir avec des greniers à sel, car venant ici de l’ancien provençal « sancnar », « sangnar » ou en provençal moderne « saunar » qui signifie « saigner »). Il se situait alors dans le périmètre des actuelles rues Jaubert, Chabrier, Granet et Loubon.
Au moins depuis le XVIe siècle, les boucheries :
Un plan de la ville au XVIe siècle (2) nous indique la présence de « boucheries » , situées en dehors de la ville de l’époque. Je ne suis pas en mesure de vous dire à quand elle remontaient, mais étant représentés sur un plan de 1575, on peut en déduire qu’ils existaient, au moins, depuis cette époque.
Le plan ci-dessous les représente au numéro 19 qui correspond à un lieu indiqué comme étant les « boucheries », autrefois synonyme d’abattoirs. On peut aussi parfois retrouver le terme de « tuerie » :
Cet emplacement correspond, de nos jour, à l’angle formé par les avenues Anatole France et Jules Ferry :
Des abattoirs ou boucheries ont perduré dans ce périmètre jusqu’au XIXe siècle car on les retrouve sur le cadastre napoléonien dressé en 1830 :
On retrouve ainsi ce derniers dans le catalogue d’état de section du cadastre à la parcelle n° 200n En petit, entre parenthèses, on peut lire « boucheries ». On lit aussi que celles-ci appartenaient à la Commune (la municipalité).
Après plusieurs siècles d’occupation des lieux, ces abattoirs furent détruits en 1855 en vue d’être déplacés :
1855 – Nouveaux abattoirs et nouvelle adresse :
Dès 1852, le projet de construction d’un nouvel abattoir était rapporté par la presse (3) et en 1855 les anciens abattoirs installés là depuis au moins le XVIe siècle furent détruits.
Leurs remplaçants furent installés à peu de distance, à moins d’une centaine de mètres à l’ouest :
On les distingue sur un cliché de Claude Gondran réalisé depuis l’ouest de la ville à la fin du XIXe siècle :
Ces « nouveaux » abattoirs furent inaugurés le mercredi 18 avril 1855. La presse de l’époque (4) donna une description très détaillée de cet ensemble formé d’un bâtiment central entouré par un autre, formant une sorte de « U »
Voici les mensurations générales de l’ensemble :
– Longueur : 84 mètres
– Largeur : 58 mètres
– Superficie : 4872 mètres carrés
Le bâtiment central en détails :
– C’était l’abattoir proprement dit, séparé des autres longs bâtiments qui l’entouraient par un chemin pavé de 8 mètres de large.
– Ce bâtiment mesurait 42 mètres de long pour 18 mètres de large.
– Son sommet se composait d’une grande nef, ou galerie centrale, de 14 mètres de haut sur 10 mètres de large, s’ouvrant sur une large baies, sur corniche et couronnement.
– Des chevalets en pierre froide y étaient placés pour saigner les moutons.
– Des robinets d’eau s’ouvraient à tous les angles et des rigoles étaient disposées pour l’écoulement du sang.
– De chaque côté, coulait une fontaine dont la nappe versait une eau abondante dans une vasque semi-circulaire.
– La nef du milieu était flanquée de deux galeries latérales moins élevées, divisées en sept tueries de bœufs de chaque côté, d’une superficie de 44 mètres chacune. Ces tueries étaient séparées les unes des autres par de grandes grilles de fer qui laissaient l’air circuler librement, et permettaient de voir ce qui se passait dans les compartiments, facilitant ainsi l’arrivée des secours si un bœuf causait des dangers par son attitude.
– Chaque tuerie était munie d’un treuil en fonte et en fer pour soulever trois bœuf à l’une d’une seule manivelle.
– Enfin, on pouvait y abattre 42 pièces de gros bétail à la fois dans les tueries réunies.
Le bâtiment du pourtour en détails :
– Ce bâtiment entourait le bâtiment central à l’ouest, à l’est et au sud.
– L’entrée était fermée par une grille de fer flanquée de deux pavillons accueillant les locaux de perception de droits.
– De chaque côté, à l’est et à l’ouest, deux rangées de bâtiments étaient surmontées d’un étage.
– Les bâtiments de droite (à l’ouest) formaient quatre étables à bœufs, cinq bergeries surmontées de leurs greniers, une grande fonderie pour le suif et un vaste étendoir.
– Les bâtiments de gauche (à l’est) formaient quatre étables à bœufs avec greniers, une triperie munie de huit fourneaux et de 18 bassins pour les abattis, une tuerie pour les porcs et deux chaudières pour l’échaudage, les tables nécessaires en pierre et un étendoir.
– Les bâtiments du fond (au sud), qui fermaient le pourtour des bâtiments, étaient occupés par 15 locaux cintrés pouvant servir de magasins
Le règlement des abattoirs :
La bibliothèque Méjanes conserve une affiche indiquant le règlement de ces abattoirs (cliquez sur l’image ci-dessous pour le lire) :
L’emplacement que cet ensemble occupait correspondrait aujourd’hui à l’endroit où se dresse depuis 1935-1936 (5) l‘ancienne cité universitaire Benjamin Abram et une partie du parc Jourdan.
Sur la vue ci-dessous, on distingue très bien le bâtiment central (les abattoirs), ainsi que le second en forme de « U » qui l’entoure. On remarque que la campagne règne et que le parc Jourdan n’existait pas encore au moment de la prise de vue (1930) (le nord est vers la gauche de la photo).
Voici ci-dessous une vue aérienne des lieux de nos jours avec le même cadrage que celle ci-dessus :
Pour repérer exactement l’emplacement qu’ils occupaient par rapport au décor actuel, voyez le montage ci-dessous que j’ai réalisé à partir d’une modélisation 3D des abattoirs que j’ai réalisée et réintégrée dans la ville actuelle :
L’édifice a disparu vers 1930 en raison de sa proximité avec l’hôtel du Roi René alors nouvellement installé dans le voisinage.
Les abattoirs de 1855 reconstituées en 3D :
Mon but était de reconstituer en 3 dimensions ces anciens abattoirs existants de 1855 à 1930. Précision importante : certains détails ont dû être imaginés en raison du manque de représentations que j’avais de disponibles :
– La façade par exemple est de mon imagination. Je l’ai faite assez simple en m’inspirant de l’arrière qui lui figure sur une photo ci-dessus;
– Il en est de même pour les matériaux et leur couleur dont je n’ai pas la moindre idée dans la mesure où les photos étaient en noir et blanc.
Ne prenez donc pas cette modélisation pour une représentation exacte des lieux, elle l’est dans la forme et les proportions ainsi que dans certains détails de la structure mais pas dans sa totalité. C’est une tentative de reconstitution.
Dans les grandes lignes, l’apparence générale du bâtiment devait beaucoup ressembler à ma reconstitution.
Ci-dessous, vous pourrez naviguer librement dans la maquette (qui m’a pris une bonne dizaine d’heure à réaliser…). Il vous suffit de cliquer sur le bouton au centre :
Lien direct vers la modélisation
1932 – Direction Encagnane :
Au début des années 1930, l’emplacement des abattoirs ouverts en 1855 posait problème. Il furent donc déplacés une nouvelle fois, cette fois-ci à l’ouest de la ville, au quartier d’Encagnane, une zone très rurale à cette époque.
Par arrêté du 13 mars 1931, la ville d’Aix autorisa l’ouverture d’un nouvel abattoir. Celui-ci fut inauguré le mardi 26 avril 1932 (6).
La comparaison ci-dessous illustre le changement qu’a connu la zone. La première photo nous montre les lieux en 1930 soit deux ans avant l’installation des abattoirs, la seconde en 1975 et la troisième de nos jours avec le Pasino. Elles ont toutes le trois exactement le même cadrage :
Au début des années 90, les lieux n’étant plus conformes aux dispositions en matière d’abattage, l’activité cessa (7).
Ces bâtiments finirent par être démolis à la fin des années 90 et l’emplacement accueille désormais le Pasino ouvert le 20 juillet 2001 (8), remplaçant de l’ancien casino municipal, qui se trouvait à l’origine à proximité de la place de la Rotonde.
Sources:
(1) Jean Pourrière – Recherches sur la première cathédrale d’Aix-en-Provence (1939) – page 129, note 88
(2) Plan d’Aix-en-Provence en 1575 – BNF / Gallica
(3) Le Mémorial d’Aix du 4 juillet 1852 (page 2, colonne 3)
(4) Le Mémorial d’Aix du 22 avril 1855 (page 2, à partir de la colonne 3)
(5) A propos de la cité universitaire Benjamin Abram : http://www.culturecommunication.gouv.fr
(6) La République Aixoise du 23 avril 1932 (page 3, colonne 4)
(7) Sextius-Mirabeau à Aix-en-Provence – Collectif – (2016) page 95
(8) Groupe Partouche – Rapport annuel 2001 (page 23)
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