L’autre monument dédié à Paul Cezanne

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Note au lecteur et mise à jour de l’article

Pour débuter cet article et avant d’aborder son sujet je me dois de préciser que j’ai apporté une petite modification au contenu : l’accent aigu du nom de famille de Cezanne.

Vous remarquerez que je n’y ai pas mis d’accent. En effet, comme on me l’a indiqué (merci à Mr Brayer), il n’y aurait pas d’accent et de plus il y a un détail qui je pense, ne faut qu’appuyer cette idée : lorsque Cezanne lui-même signait ses toiles, il ne mettait pas d’accent à son nom, voyez ci-dessous :

Quelques signatures de Paul Cezanne
Quelques signatures de Paul Cezanne

Voila pourquoi cet article ne contient pas le nom de Cezanne avec un accent aigu.

Pourquoi pas d’accent aigu sur le « e » de Cezanne ?

Les puristes le disent et le répètent: il n’y a pas d’accent sur le « e » de Cezanne.

Lorsque le peintre (né à Aix en 1839 et
mort dans la même ville en 1906) signait ses toiles, il ne mettait pas d’accent à son nom. Cette histoire d’accent est devenue célèbre (…) Philippe Cezanne, arrière-petit-fils du peintre, se bat contre dictionnaires, encyclopédies et géants d’internet pour le répéter : c’est « Cezanne » et pas « Cézanne ». L’accent aigu ne figure pas non plus sur les actes notariés de la famille.

(La Provence, 12/08/2017)

Pour plus d’infos, suivez ce lien : societe-cezanne.fr


 Article original

Si je vous dit « monument à Paul Cezanne », vous allez sans doute immédiatement penser à la statue, élevée face à la place de la Rotonde en 2006 et vous auriez raison.

On pourrait aussi citer le médaillon qui orne la fontaine des Bagniers et qui le représente :

La fontaine des Bagniers et le médaillon représentant Cézanne
La fontaine des Bagniers et le médaillon représentant Cezanne

Ce portrait basé sur un dessin de Renoir fut offert en 1926 par Ambroise Vollard, marchand de tableaux et ami de Cezanne (1).

Mais malgré l’existence de ces deux monuments, saviez-vous qu’un autre aurait dû être installé à Aix, et ce, bien avant eux ?

Au fil de mes promenades sur le site des archives du Mémorial d’Aix, je suis effet tombé un peu par hasard sur cette curieuse histoire que je partage ici.

Plutôt que de faire un condensé, j’ai préféré m’appuyer sur les témoignages (articles et lettres d’époque) en en reprenant plusieurs extraits et citations afin de conserver les idées que leurs auteurs ont voulu faire passer à l’époque.

Donc ne soyez pas surpris par les multiples citations présentes dans cet article, il a été pensé comme ça.


Le monument à Paul Cezanne – 1912 :

Tout commence quelques années après la mort du peintre…

Vers 1912, afin de rendre hommage au Maître, décision fut prise par un comité d’artistes présidé par Frantz Jourdain, de commander un monument qui serait dédié à Cezanne et élevé dans la ville d’Aix.

L’œuvre, exécutée par le sculpteur Aristide Maillol ne devait pas représenter Cezanne mais devait être une fontaine représentant une femme bien faiblement vêtue tenant dans sa main une branche d’olivier.

Pour ce qui est du matériau dans lequel elle fut faite, je ne suis pas parvenu à trouver lequel : Le Mémorial d’Aix parle de bronze, le musée d’Orsay de marbre et de plomb et Wikipédia uniquement de plomb. Allez donc vous y retrouver…


Un emplacement qui fait débat :

Une fontaine pour rendre hommage à Cezanne, pourquoi pas ? Cependant, une question allait bien vite pointer le bout de son nez et diviser : Où placer ce monument ?

Lors de la séance du 4 mai 1911 (2), le Conseil Municipal décida que le monument serait installé sur la fontaine de la place se trouvant face à ce que l’on appelait alors le musée des Beaux-Arts (l’actuel musée Granet). Autrement dit : la place qui fait face au musée et à l’église Saint-Jean de Malte.

Dès lors plusieurs voix ne tardèrent pas à s’élever contre cette décision. Notamment celle d’E. Aude alors Conservateur des antiquités et objets d’arts des Bouches-du-Rhône.

Dans une longue lettre publiée dans le Mémorial d’Aix du 14 mai 1911 (3), à destination du président du comité (Frantz Jourdain), il détailla les raisons de son incompréhension et de son mécontentement face à cette décision.

 – Morceaux choisis

« …Avant tout, je tiens à bien préciser que nous ne protestons pas contre l’idée même du monument. Plusieurs d’entre nous furent des amis de Cezanne ; car Cezanne était parfaitement connu ici, et beaucoup l’appréciaient et l’admiraient ; moi-même, je fus l’un des premiers à demander pour lui un hommage public dans sa ville natale. Mais, ce que nous ne voulons pas, c’est que cet hommage aboutisse à gâcher une des plus nobles ordonnances architecturales qui soient dans aucune ville de France… »

« …Vous comprendriez que, devant Saint-Jean et le Musée, il faudrait seulement mettre une inscription : « Défense de déposer de la sculpture au pied des beaux édifices. » Et je crois bien que Cezanne eût été de notre avis. Nul, plus que ce maître dont on a voulu faire un révolutionnaire, n’était respectueux de la beauté acquise… »

« …Nous ne sommes pas contents et nous pensons que si l’excellent sculpteur qui a choisi cette place s’était un peu reculé, s’il avait pensé à telle vieille ville d’Espagne ou d’Italie, que notre Aix reflète si exactement, il eût peut-être changé d’avis, dans l’intérêt même de son œuvre… »

La lettre continuait ensuite sur quelques suggestions d’emplacement plus appropriés :

« …Mettez le monument de Cezanne au carrefour des rues du Séminaire (ndlr : actuelle rue Pierre et Marie Curie), Saint-Laurent (ndlr : actuelle rue Paul Bert), Boulegon et Matheron. Le Maître habitait non loin de là ; durant de longues années, tous les matins, il prenait cette rue du Séminaire pour monter aux Lauves. Je le rencontrais souvent, et nous causions. Cezanne n’est jamais allé au Musée… »

« …Dans le dernier numéro de ce journal, un ami de Cezanne a demandé que l’on appelât la rue Boulegon « rue Paul Cezanne » : un joli monument à l’entrée de cette rue vaudrait encore mieux… »

« …Celui qui vous écrit a aimé et défendu Cezanne et c’est pourquoi il veut que le jour où sera glorifiée cette chère mémoire, personne ne puisse dire : « Pourquoi faut-il qu’à l’occasion d’un grand artiste, un véritable crime contre l’art et le bon goût ait été commis ? »

Extraits de la lettre d’E. Aude à Frantz Jourdain dans le Mémorial d’Aix du 14 mai 1911 

On remarquera certains détails dans ce courrier, en particulier que s’il avait été proposé que la rue Boulegon porte le nom de Paul Cezanne, ça n’est pas par hasard car pour rappel, c’est dans cette rue qu’il eu sa dernière adresse, au N° 23.


Les avis se suivent

Le jours passèrent, les courriers et articles se répétèrent dans la presse locale et on en apprit un peu plus, notamment qu’il était prévu que l’eau jaillirai de la fontaine en traversant le socle de granit de celle-ci (pour rappel, la statue devait avoir aussi le rôle de fontaine). D’autres suggestions pour l’emplacement furent proposés comme la Plateforme (l’actuelle place Miollis) ou encore le jardin de la ville (le parc Rambot) (4).

Le débat s’est même étendu dans d’autres publications de l’époque et les « locaux » n’ont pas été les seuls à s’interroger sur la raison de la future installation de cette fontaine sur la place faisant face à Saint-Jean de Malte et au musée.

Pour preuve, André Hallays, journaliste et écrivain attaché au patrimoine a lui aussi écrit sur le sujet dans la revue « Journal des Débats » du 19 mai 1911 (5) et son article a été repris dans le Mémorial d’Aix du 21 mai suivant (6).

Il y a notamment écrit cette phrase à méditer, résumant le fond de la pensée générale :

…Pour honorer un artiste, il est inutile de déshonorer le plus bel endroit d’une ville. Et c’est justement ce que l’on veut faire…


Quelques semaines plus tard :

Les semaines passèrent mais la question du futur emplacement de la statue était toujours de la partie et c’était au tour d’un autre local, fervent défenseur du patrimoine provençal d’apporter son avis sur le sujet : Marcel Provence (1892-1951 –  Marcel Provence était un pseudonyme, son vrai nom de famille était Joannon).

Dans le Mémorial d’Aix du 30 juin 1912 (7), Marcel Provence mentionnait ce que l’on pourrait appeler de nos jour un sondage, effectué par une revue de l’époque « Les Quatre Dauphins ». Les résultats de celui-ci donnèrent lieu à d’autres propositions pour l’emplacement tant débattu du monument.

Parmi ces derniers, certains auraient bien vu la sculpture sur la place du Palais de justice (actuelle place Verdun), ou encore au chemin des Lauves (près de l’atelier de Cezanne). D’autres suggéraient, de nouveau, la placette à l’extrémité de la rue Boulegon, tandis que d’autres encore l’auraient bien vu au centre du Parc Rambot.

De l’avis de Marcel Provence, le chemin des Lauves était trop éloigné du cœur de la ville, quant à la placette à l’extrémité de la rue Boulegon, la présence d’une buvette aurait, selon Provence, terni le décor. En revanche, il l’aurait bien vu dans le Parc Rambot.

Rappelons que ce sondage, tout comme ces divers avis, n’avaient rien « d’officiels » et qu’ils étaient surtout publiés pour exprimer un mécontentement (et pourquoi pas suggérer d’autres emplacements à la municipalité de l’époque ?).


Changement de programme – 1927 :

La suite de cette bien complexe histoire se déroula environ 15 ans après le début des choses…

C’est dans le Mémorial d’Aix du 24 juillet 1927 (8) qu’il faut se tourner pour comprendre que la ville d’Aix ne fut finalement pas retenue pour accueillir le monument.

Pas retenue ? En fait,  si l’on s’en tient aux diverses sources, notamment le site du musée d’Orsay, on apprend que la ville aurait en réalité refusé le monument en 1925.

Peut-être (sûrement) s’est-il passé des choses entre temps. Je n’ai pas plus de précisions quant aux faits précis mais le Mémorial d’Aix du 24/07/27 publia un article qui nous renseignait sur la destination finale du monument, le tout suivi de quelques pensées.

Le billet en question nous informe que le comité pris la décision d’installer finalement le monument aux Tuileries à Paris (il y sera dès 1929). Le texte continuait alors par ces quelques phrases :

« …Mais les aixois ont-ils fait un effort, pour que leur ville fût choisie par le comité ? Ont ils même exprimé, par des représentants qualifiés, le désir de recevoir en cadeau une œuvre d’art que d’excellentes raisons leur destinaient et qui, grâce au talent de Maillol, eut été d’un très bel effet sur la place Miollis, ou en quelqu’autre endroit de la ville ?… »

« …L’hostilité que Cezanne rencontra, de son vivant, à Aix, lui aurait-elle survécu. Il s’agit plutôt d’indifférence, et cela n’est pas moins regrettable… »

C’est presque à ne rien y comprendre, surtout lorsque l’on se remémore les multiples publications, notamment celles que j’ai mises en avant plus haut. Il est en effet important de préciser que malgré la multiplication de ces articles, ça n’est pas le monument en lui même qui posait problème mais son emplacement.

Après, en y réfléchissant, peut-être que l’auteur de l’article, en évoquant « les aixois », ne parlait pas du peuple ou des amateurs d’arts mais plutôt des dirigeants, qui sait ? Si c’et le cas, son billet aurait alors bien plus de sens. Ca n’est qu’une théorie personnelle, je ne fais qu’essayer de donner une certaine logique au texte.

Je ne souhaite cependant pas être catégorique, par conséquent je peux pas affirmer si, au final, cette statue a été refusée par la ville ou si elle l’a été en raison de la campagne de presse qui n’était pas vraiment pour son installation à l’endroit choisi.

 – Toujours est-il que c’était définitif :  Cezanne n’allait pas avoir « son » monument à Aix.


L’hommage à Cezanne – le monument :

A présent, faisons un petit rappel historique du monument pour voir ce qu’il est devenu à partir des infos présentes sur le site du Musée d’Orsay (9) :

  1912 : le monument est commandé par un comité d’artistes présidé par Frantz Jourdan.

 1925 : le monument est refusé par la ville d’Aix.

 – Avant 1929 : acquisition du monument par la ville de Paris.

 A partir de 1929 : le monument est installé au jardin des Tuileries. D’abord en marbre, il est remplacé par la suite par une autre version en plomb.

 1943il est attribué au musée national d’Art Moderne et y ferra son entrée bien plus tard en 1963.

 – 1986 : le monument est finalement attribué au musée d’Orsay.


Le monument de nos jours :

De nos jours, cette œuvre intitulée « L’hommage à Cezanne » est toujours visible à Paris.

Comme expliqué plus haut, la matière dans laquelle elle fut faite diffère selon les sources (plomb, marbre ou bronze sur un socle en granit).

De plus après vérifications, il semble qu’il en existe au moins deux versions, toutes les deux exposées dans la capitale.

L’une d’elle est visible dans le jardin des Tuileries et semble être en plomb. La seconde quant à elle se trouve au musée d’Orsay et tout laisse à penser qu’elle est en marbre.

Après avoir tant évoqué ce monument, il est temps de l’admirer :

 – Voici un cliché de la version exposée dans le jardin des Tuileries (au jardin du Carrousel) :

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Le Monument à Cezanne par Aristide Maillol (1912) exposé au jardin des Tuileries

 Crédits photo : © Dalbera – Licence CC BY 2.0 – Wikimedia

– – –

 – Voici la version exposée au musée d’Orsay :

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Une autre version du Monument à Cezanne par Aristide Maillol (1912) exposé au Musée d’Orsay

Crédits photo :  © Arthur Crbz – Licence CC BY-SA 4.0 – Wikimedia


Après toute cette histoire et tous ces débats une question me reste tout de même en tête, je m’explique  :

 – Cezanne est mort en 1906, l’idée du monument a germé quelques années après, soit au final peu de temps. Tout laissait donc à penser que certains souhaitèrent absolument ériger un monument rendant hommage à Cezanne.

 – On a vu que le monument aurait finalement été refusé vers 1925 et qu’un médaillon, apposé sur la fontaine des Bagniers, fut malgré tout offert par Ambroise Volard en 1926. Certes, on peut imaginer ça comme une compensation mais on ne peut pas considérer ce médaillon comme « un monument ».

Ma question est donc la suivante : Pourquoi a t-il fallu attendre 2006 pour qu’un réel monument soit dressé à Aix en sa mémoire ?

Il suffit en effet de faire un peu de maths pour s’apercevoir qu’entre sa mort et l’idée du monument sculpté par Maillol on a peu d’années, alors qu’entre le refus de ce monument en 1925 et l’installation de celui qui se trouve actuellement face à la Rotonde, il s’est passé 81 ans !

La raison se trouve peut-être dans le fait que les choses avaient changé. Sans reprendre le texte qui disait que « …L’hostilité que Cezanne rencontra, de son vivant, à Aix, lui aurait-elle survécu…. » on peut cependant y voir une certaine indifférence.

Le temps passe, les modes changent. D’autres priorités étaient là et l’oubli (ou un truc dans le genre) s’est peut-être peu à peu installé.


Depuis 2006 :

Toujours est-il que je ne veux pas finir cet article sur une note peu gaie et des regrets.

Raison pour laquelle à défaut de regretter le monument d’Aristide Maillol, nous pouvons (et devons) nous réjouir car le manque est désormais comblé depuis l’installation de la statue de Cezanne (et qui le représente cette fois-ci) installée face à la Rotonde en 2006.

La statue de Paul Cézanne élevée en 2006
La statue de Paul Cezanne élevée en 2006

Dévoilée à l’occasion du centenaire de la mort du Maître, cette sculpture en bronze est l’œuvre de l’artiste Gabriel Sterk et fut offerte à la ville d’Aix par l’association « Aix-en-Oeuvres » (10).


Tout est bien qui fini bien donc, Paul Cezanne, ou du moins sa statue, se dresse fièrement au cœur de sa ville, et espérons, pour longtemps encore.


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 – Sources
(1) Mémorial d’Aix du 13 juin 1926 (page 1)
(2) Mémorial d’Aix du 11 mai 1911 (page 2)
(3) Mémorial d’Aix du 14 mai 1911 (page 1)
(4) Mémorial d’Aix du 18 mai 1911 (page 2)
(5) Journal des débats du 19 mai 1911 (page 1 )
(6) Mémorial d’Aix du 21 mai 1911 (page 1)
(7) Mémorial d’Aix du 30 juin 1912 (page 1)
(8) Mémorial d’Aix du 24 juillet 1927 (page 1)
(9) musee-orsay.fr (à propos du monument – n° d’inventaire : RF 3245, AM 1444)
(10) aix-en-oeuvres.com (site de l’association)


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