Bornacini et la guillotine d’Aix

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Qui était Bornacini ? Quelle est cette guillotine d’Aix ? Quel est le rapport entre les deux ?

Après avoir mené une longue enquête au travers une foule de documents, je vais vous conter leur histoire et la réponse dans cet article.


Coupez !

A compter de la fin du XVIIIe siècle, la mise à mort des condamnés à la peine capitale était désormais effectuée à la guillotine. On utilise couramment le terme de décapitation mais une autre désignation existe : « la décollation ».

Cette nouvelle méthode mit ainsi tout le monde sur un même niveau d’égalité pour être exécuté avec un minimum de souffrances, remplaçant ainsi de nombreuses techniques (comme la roue, la pendaison, l’écartèlement, etc…) qui relevaient d’avantage de la barbarie.

– En ce qui concerne les lieux et méthodes d’exécutions à Aix, un article entier du site leur est consacré, donc pour ne pas me répéter et si vous ne l’avez pas lu, vous pouvez le consulter en cliquant ici-même.


XIXe siècle – De nouvelles règles :

« Bourreau » ou « exécuteur des hautes-œuvres », deux expressions pour désigner une seule et même fonction : celle d’être la personne qui était chargée d’utiliser la guillotine pour mettre fin à la vie des condamnés à mort.

Le XIXe siècle fut une période qui marqua des changements dans l’organisation des bourreaux (1).

Un premier décret du 26 juin 1850 avait déjà réduit le nombre de bourreaux afin qu’il n’y en ait plus qu’un par cour d’appel. Cette décision fut prise en raison de la baisse du nombre de condamnés à morts, mais aussi car il était désormais plus facile de transporter la guillotine par le train.

Mais c’est le décret du 25 novembre 1870 qui fut le plus radical. Ce dernier indiquait que :
– Désormais, il n’y aurait plus qu’un seul exécuteur pour le pays entier, se déplaçant de régions en régions avec son matériel, selon les besoins, pour effectuer sa tâche ;
– En cas de besoins, il était assisté de cinq adjoints (ou trois selon les sources) ;
– Il n’y aurait plus que deux guillotines pour le pays.

A cette période à Aix, les exécutions avaient lieu devant la porte de la prison de la ville, qui accueille de nos jours la cour d’appel.

Une guillotine à la fin du XIXe siècle avec, à côté d’elle, le panier destiné à accueillir le corps de l’exécuté.

1870 – Bornacini, bourreau à Aix :

Lors de la mise en place du décret, le bourreau qui œuvrait à Aix se nommait alors Vincent Canhi, dit Bornacini.

Bien que très souvent cité sous le nom de Bornacini, il est né sous le nom de Canhi. Mais dans cet article, je le nommerai Bornacini.

Originaire de Charente-Maritime (ancienne Charente-Inférieure), il est né à Saintes le 21 juillet 1815 (2). Son acte de naissance indique qu’il a été abandonné à l’hospice quand il est né et qu’il est de parents inconnus. Son nom de famille sur cet acte est orthographié « Canni »

Selon plusieurs sources généalogiques (3) et (4), il aurait peut-être été adopté par Pierre Bernaciny qui était alors assistant du bourreau de Saintes, François Spirckel (5). Cette information n’est pas certaine mais pourrait expliquer :
– le second nom de famille de Vincent Canhi dit « Bornacini », l’orthographe du nom « Bernarciny » ayant pu légèrement varier avec le temps donnant « Bornacini » ;
– son entrée dans le monde des exécuteurs.

Le 14 août 1837, alors âgé de 22 ans, il épousa une certaine Marie-Jeanne Filhon à Saintes (6).

Au cours de sa carrière, il exerça sa fonction dans plusieurs localités, notamment Agen, Pau, Digne ou encore Draguignan. C’est à Aix que sa fonction d’exécuteur des hautes-œuvres prit fin, suite à l’arrêté de 1870.

En parallèle de son activité de bourreau, il était aussi ébéniste, réalisant des meubles selon les commandes qui lui étaient passées (7).

Le bourreau logé dans la rue des Guerriers :

Mentionné à Aix au moins à partir de 1861 (8), il était logé, comme ses prédécesseurs, dans une maison dans la rue des Guerriers, parfois au n°9, mais surtout au n°6, où se trouvait une maison prévue pour loger les bourreaux de passage (9).

Adossé au rempart, ce local était la propriété de la commune qui le louait aux exécuteurs depuis de longues années (10). La guillotine n’était pas loin car elle était entreposée dans un local attenant (11).

Avant lui, d’autres bourreaux avaient demeuré à cette adresse. J’en ai retrouvé deux grâce aux archives du recensement :
– Pierre Vermeil (ou Vermeille) (12), exécuteur à Aix au moins jusqu’en 1841 ;
– Henri Demorest (13), exécuteur des arrêts criminels à Aix au moins jusqu’en 1856.

Cette maison est la parcelle n° 3056 du cadastre napoléonien de la ville d’Aix. La maison y est décrite comme « corps de garde » mais il s’agissait bien d’un logement :

Documents localisant l’emplacement du logement des bourreaux à Aix
– En haut : Le Mémorial d’Aix du 28 avril 1872 (page 2, colonne 4)
Source : Bibliothèque Méjanes, Aix-en-Provence – Cote JX0042
Lien vers le document original

– En bas : Extrait du catalogue d’état de sections du cadastre napoléonien – Section Ville (page 205, ligne 1)
Source: Archives départementales des Bouches-du-Rhône – Cote : P4 821
Lien vers le document original

1871 – Bornacini et la guillotine d’Aix à la retraite :

Du fait de l’arrêté de 1870, réduisant le nombre de bourreaux à un seul et à deux guillotines pour tout le pays, le bourreau d’Aix et la guillotine de la ville perdirent toute utilité.

Vincent Bornacini fut mis à la retraite, percevant de la part de l’État une petite pension de 800fr. Il avait alors 56 ans.

La guillotine d’Aix, quant à elle, allait être vendue, comme beaucoup d’autres dans le pays.

– – –

1871 – La vente de la guillotine d’Aix :

En septembre 1871, on pouvait voir en ville des affiches évoquant un vente prochaine de bois et fers pour le compte de l’État, mais rien de plus précis sur le détail de la marchandise (14).

Puis arriva le jeudi 21 septembre 1871, à l’entrepôt de bois Jourdan (lieu aujourd’hui occupé par le parking Bellegarde), où les intéressés ont pu constater que ce qui était à vendre, n’était ni plus ni moins que la guillotine de la ville. La nouvelle attira la foule qui vint observer la machine et nombreux sont ceux qui ont fait des offres.

Les enchères consistaient en la vente de trois lots : les bois, les fers (incluant la lame – rouillée) et la charrette destinée au transport (15). Le tout fut acquit pour un total de 90 francs d’alors, répartis comme suit : bois : 28 fr, fers : 22 fr, charrette : 40 fr.

Et l’acquéreur qui fit l’offre la plus élevée ne fut autre que… Vincent Bornacini, lui-même (14). Faut-il y voir un attachement de la part de l’utilisateur envers sa machine ? Peu importe, la guillotine qu’il avait tant manipulée était désormais la sienne.

Un dernier élément de la guillotine fut vendu ce jour là : le panier de celle-ci, qui aurait été acquit par un blanchisseur de la ville (16).

Article de presse évoquant la vente de la guillotine d’Aix
– Source : Le Petit Marseillais du 25 septembre 1871 (page 4, colonne 1)
Lien vers le document original

Une guillotine recyclée ?

Qu’est devenue la guillotine acquise par l’ancien bourreau ?

Bornacini, désormais retraité et propriétaire de « sa » guillotine d’Aix depuis 1871 vivait paisiblement sa retraite, mettant au point, entre autre, un onguent pour le traitement des panaris (17).

Un article de la presse de 1893 (18) évoque ce que serait devenu le bois de la guillotine avec le temps.

On y lit que, si Bornacini logeait à Aix, il possédait aussi une petite maison de campagne à Ventabren. En vue de la vendre, il y fit faire quelques travaux et, en guise de paiement, fit don de la majorité du bois de la guillotine au maçon qui rénova cette maison.

Le maçon aurait alors donné une nouvelle vie à ce bois en transformant notamment les tréteaux de la guillotine en parquet. Où ça précisément ? Dans une demeure quelque part autour d’Aix, mais la presse ancienne s’est bien gardée de donner l’adresse, selon le souhait du maçon qui ne voulait pas attirer les curieux.


1893 – Bornacini rattrapé par la mort :

Il l’avait donnée à de nombreuses reprises et l’avait côtoyée une bonne partie de sa vie. Lui aussi allait être emporté par elle : il s’agit bien entendu ici de la Mort.

Son épouse partit avant lui au soir du 25 août 1881 alors âgée de 63 ans (19).

Puis ce fut le tour de Vincent Canhi, dit Bornacini, qui s’éteignit le 8 août 1893 en fin d’après-midi, tout comme son épouse avant lui à leur domicile du n°6 de la rue des Guerriers. Il avait 79 ans (20).

Extrait d’un article de presse évoquant la mort de Bornacini
– Source : La Provence nouvelle du 20 août 1893 (page 3, colonne 2)
Bibliothèque Méjanes, Aix-en-Provence – Cote : JX013
Lien vers le document ori
ginal

Dans son acte de décès, daté du lendemain de sa mort, rien ne mentionne sa fonction de bourreau. Il y est simplement désigné comme « ancien menuisier » (probablement en raison de son activité d’ébéniste).

C’était la fin du dernier bourreau local.


La fin d’une époque et le début d’une autre :

Vincent Canhi dit Bornacini fut donc le dernier bourreau à exercer à Aix avant le décret de 1870 mettant fin à la carrière des bourreaux locaux, ne laissant plus la place qu’à un seul bourreau et deux guillotines pour le pays.

Ce ne fut cependant pas le dernier bourreau à officier à Aix, la guillotine, y œuvra encore de nombreuses fois, mais désormais par d’autres exécuteurs des hautes-œuvres, qui se sont succédé cette fois-ci à l’échelle nationale.

Les exécuteurs des hautes-œuvres en France de 1872 à 1981 :
– Nicolas Roch de 1872 à 1879 ;
– Louis Deibler de 1879 à 1899 ;
– Anatole Deibler de 1899-1939 (fils de Louis Deibler). Exécuteur du tueur en série Henri Désiré Landru en 1922 à Versailles, Anatole Deibler réalisa le 10 avril 1934 à 05h30 la dernière exécution d’un condamné à mort à Aix ;
– Jules-Henri Desfourneaux de 1939 à 1951 (cousin d’Anatole Deibler) ;
– André Obrecht de 1951 à 1976 (cousin de Jules-Henri Desfourneaux) ;
– Marcel Chevalier de 1976 à 1981 (neveu par alliance d’André Obrecht). Il ne réalisa que les deux dernières exécution en France en 1977.

Parmi les quelques guillotines encore existantes, l’une d’elle est conservée dans les réserves du Mucem à Marseille. Datée de 1872, elle mesure 4,5 mètres pour un poids de 580 kg.

– La dernière exécution à Aix eu lieu devant la prison de la ville le 10 avril 1934.

– La dernière exécution en France eu lieu à Marseille à la prison des Baumettes le 10 septembre 1977.

– La peine de mort en France fut abolie par la loi n°81-908 du 9 octobre 1981.


– Sources :
(1) Criminocorpus.org – Le Bourreau
(2) Acte de naissance de Vincent Canhi dit Bournacini – n° 173 – Archives Charente-Maritime
(3) Généanet.org – Vincent Canhi dit Bornacini
(4) Histoirepassion.eu – La guillotine à Saintes
(5) Mention de Pierre Bernaciny et de sa fonction – Archives des Charente-Maritimes (acte n°336)
(6) Acte de mariage de Vincent Canhi et Marie-Jeanne Filhon – Archives des Charentes-Maritimes (acte n° 38
(7) Revue de l’Agenais et des anciennes provinces du Sud-Ouest – 1877 – (page 66)
(8) Recensement d’Aix en 1861 – Rue des Guerriers – Archives départementales des Bouches-du-Rhône
(9) Le Mémorial d’Aix du 28 avril 1872 (page 2, colonne 4)
(10) Catalogue d’état de sections du cadastre napoléonien – Section Ville (page 205, ligne 1)
(11) Le Mémorial d’Aix du 8 juin 1893 (page 1, colonne 4)
(12) Recensement d’Aix en 1841 – Rue des Guerriers – Archives départementales des Bouches-du-Rhône
(13) Recensement d’Aix en 1856 – Rue des Guerriers – Archives départementales des Bouches-du-Rhône
(14) Le Mémorial d’Aix du 24 septembre 1871 (page 3, colonne 1)
(15) Le Courrier du Gard (page 2, colonne 4)
(16) Paris-journal du 4 octobre 1871 (page 1, colonne 6)
(17) La Provence Nouvelle du 20 août 1893 (page 3, colonne 2)
(18) Le Mémorial d’Aix du 15 juin 1893 (page 2, colonne 3)
(19) Acte de décès de Marie-Jeanne Filhon – Archives départementales des Bouches-du-Rhône (acte n°496)
(20) Acte de décès de Vincent Canhi, dit Bornacini – Archives départementales des Bouches-du-Rhône (acte n°534)
Photo d’entête de l’article : Wikimedia Commons – par Mball93 – sous licence CC BY-SA 4.0


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