Aix et le coton

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Au sud du centre-ville d’Aix-en-Provence, un quartier porte le nom de « Coton-Rouge ».

Curieuse appellation, et pourtant, en s’intéressant au passé industriel de la ville, ce nom prend tout son sens. Il fut en effet une époque où la filature et la teinture de coton avaient une place à Aix.

Retour quelques siècles en arrière.

– Note : Cet article a été réalisé à partir de la presse ancienne locale et se veut non-exhaustif sur l’industrie du coton à Aix.


Fin du XVIIIe siècle – La première filature de coton :

Si la filature était déjà une activité pratiquée à Aix et les communes l’entourant depuis longtemps, notamment avec la soie (1), retracer la naissance de cette activité, désormais avec du coton et telle que l’on pourrait la qualifier « d’industrielle », nous fait remonter le temps à la fin du XVIIIe siècle.

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XVIIIe siècle : la première filature / teinturerie de coton d’Aix :

L’histoire entre Aix et l’industrie de filature et de teinturerie du coton semble débuter vers 1791. Cette année là, la maison « Blanc et Bertrand » de Marseille, forma un premier atelier de filature de coton et une teinturerie en bleu dans le « jardin de Grassy » (aujourd’hui au quartier Grassi, entre les thermes et l’hôpital).

Seulement voila, à cette époque la Provence ne possédait ni ouvriers formés à ce travail, ni les machines nécessaires à cette tâche. On fit alors venir de Lyon des métiers à carder, des fileuses et un contre-maître spécialisé.

Dans un premier temps, les mécanismes de ce premier atelier étaient exclusivement manuels, autrement dit : animés par la seule force des ouvriers, sans aucune autre forme de technologie.

Par ailleurs, la ville d’Aix, souhaitant propager l’activité du coton et souhaitant donc former d’éventuels intéressés à ce métier, indiqua dans une proclamation datée du 20 avril 1791 (2) la création d’une école gratuite de filature, qui fut installée dans la « maison de la paroisse du Faubourg » (actuellement l’église Saint-Jean-Baptiste sur le cours Sextius).

En 1793 et les années qui suivirent, ce secteur, comme tant d’autres, fut touché par la crise et la filature d’Aix ne fut pas épargnée. Elle fut alors obligée de réduire ses dépenses en raison du manque de matières premières. Une période creuse, qui dura jusqu’au premières années du XIXe siècle.

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XIXe siècle – la filature s’agrandi et se modernise :

Le XIXe siècle arrivant et l’économie reprenant peu à peu ses marques, cette première filature fut agrandie et connu un nouveau propriétaire : la « Maison Paillasson », du nom d’un lyonnais négociant à Marseille.

Ces changements s’accompagnèrent d’une modernisation des équipements, avec l’adoption d’une nouvelle méthode de filature, plus rapide, offrant un rendement plus élevé. Une méthode créée par l’anglais Richard Arkwright quelques décennies plus tôt.

Mais voila, inconvénient de taille : l’atelier du « Jardin Grassy » commençait à se faire trop étroit. Un déménagement s’imposa alors.

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1806 – La filature déménage :

La première filature quitta le jardin de Grassy pour sa nouvelle adresse : l’ancien couvent des Bénédictines (aujourd’hui intégré au collège Mignet, rue Cardinale). Cet emplacement a été proposé par le maire d’Aix d’alors, François Sallier (maire de 1802 à 1806) après sollicitation. L’acquisition des lieux par la filature se fit aux enchères en date du 24 mai 1806.

La superficie totale de ces nouveaux locaux était 11 500 m². Une surface formée par 2500 m² de bâtiments couverts et de 8700 m² de cours et jardins en extérieurs (3).

La « filature de cotons » dans l’ancien couvent des Bénédictines sur un plan de 1848.
– Source image : © Gallica / B.N.F. Lien direct vers le document original

Cette nouvelle adresse fut ainsi l’occasion de moderniser un peu plus les installations, qui utilisèrent alors une technologie très en vogue à l’époque : la vapeur ! Un nouveau moteur fut installé en 1812, celui-ci fournissait alors une force de 12 chevaux.

L’activité ne cessait de croitre, ci-bien qu’une nouvelle manufacture allait faire son apparition


Fin XVIIIe siècle ou début XIXe – La teinturerie de coton rouge :

XIXe siècle – Une teinturerie au bord de l’Arc :

Au début du XIXe siècle, ou à la toute fin du XVIIIe siècle, une teinturerie, dédiée elle, à la teinte de tissus en rouge, fut créée sur la rive nord de l’Arc, au sud de la ville.

Il y a de fortes chances que ce soit cette teinturerie qui ait donné au quartier ce nom de « Coton-Rouge » :

Encadré en rouge : la « fabrique de coton »
– Source image : © BNF / Gallica – Lien direct vers le document original

On la retrouve ci-dessous, sur le plan du cadastre napoléonien d’Aix dressé en 1829 (il y en a eu peut-être d’autres dans les environs mais, personnellement, je n’ai retrouvée que celle-là, clairement indiquée comme tel sur l’ancien cadastre à cet endroit) :

La « fabrique de Coton rouge » sur les bords de l’Arc sur le plan cadastral de 1829
– Source image : © Archives Départementales des Bouches-du-Rhône – Cote 3 P 34 – Feuille E1
Lien direct vers le document original

L’activité de cette teinturerie des bords de l’Arc fut si croissante que la « Maison Paillasson », propriétaire des lieux, décida de l’agrandir, lui ajoutant alors de nouvelles constructions et souhaitant une nouvelle machine d’une puissance de 20 chevaux et ce, à partir de 1827.

Malheureusement, cette expansion fut brutalement stoppée lorsque, le 28 février 1828, Mr Paillasson mourut – paraît-il, par suicide, à Mazargues, en raison d’une crainte vis-à-vis de ses finances (4). Ce décès soudain eu pour conséquence de voir la démission du directeur et l’abandon des lieux et des projets qui allaient avec.

Aix allait elle perdre la main sur ce secteur dont elle commençait à jouir ? Par chance, les choses allaient finir par s’améliorer quelques années plus tard. En effet, les ateliers finirent par être repris par les messieurs Holive (ou Olive), qui relancèrent alors la production.

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XIXe siècle – le coton à Aix :

Que ce soit aussi bien à la filature située dans l’ancien couvent des Bénédictines qu’a la teinturerie de coton rouge des bords de l’Arc, l’impulsion donnée par les Holive eu d’excellentes conséquences sur la production.

La filature installée dans l’ancien couvent, créée par « Blanc et Bertrand », entre temps reprise par les Holive, fut rachetée par la « Maison Pastré » et fut à cette occasion encore modernisée, cette fois-ci avec des machines d’une force motrice développant 30 chevaux.

Le temps passant, l’activité de la teinturerie des bords de l’Arc « de coton rouge » fut quant à elle rapatriée dans les ateliers de la filature du centre-ville.

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La production aixoise :

L’activité de ces filatures et teintureries consistait (comme leur nom l’indique…) à filer et teindre le coton. La production, dans ses grandes heures, atteignait environ 100 000 kg par an et était exportée dans tout le midi de la France, et jusqu’en Italie (5).


Le déclin de la filature de coton :

Joseph Pastré, l’ainé des négociants qui avaient repris la filature d’Aix mourut en octobre ou novembre 1861 (6), un fait qui pourrait paraître anodin, mais qui annonça (peut-être) la fin prochaine de la filature de coton d’Aix.

Car en juillet 1862, la presse indiqua que la communauté religieuse des Visitandines racheta les locaux de la filature Pastré pour 130 000 fr d’alors, filature installée depuis 1806 dans l’ancien couvent des Bénédictines.

Une information qui entraina la déception, comme l’indique l’extrait ci-dessous (7) :
« …Cette vente affligera notre population, parce qu’elle est la confirmation de la perte d’une filature de coton importante qui occupait un grand nombre de bras… »

Rappelons que l’activité de la teinturerie des bords de l’Arc avait été déplacée dans cette filature. Il ne restait donc plus que ces ateliers dans le centre-ville, dont les locaux étaient désormais vendus. Cette vente signa donc la fin de la « filature Pastré », descendante directe de la première filature et teinturerie de coton aixoise et grande représentante du secteur sur Aix.

Le matériel de la filature fut vendu aux enchères, comme l’indiquait la presse de septembre 1862 :

Extrait du Mémorial d’Aix du 7 septembre 1762 – Vente du matériel de la filature
Document conservé à la bibliothèque Méjanes, Aix-en-Provence – Cote : JX 0042 – Lien direct vers le document (page 1, colonne 4)

Certes, cette filature n’était plus et ce secteur avait pris un sacré coup sur Aix du fait de sa disparition. Mais les murs étaient toujours là.

– Voyons ce qu’ils sont devenus :


Le devenir des lieux qui ont accueilli les filatures / teintureries :

1 – La première filature et teinturerie de bleu au Jardin de Grassy (1791 – 1806) :

Elle se situait au nord-ouest du centre ancien, du côté du quartier qui se trouve entre les thermes et l’hôpital, mais je n’ai pas d’informations en ce qui concerne sa localisation exacte.

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2 – La nouvelle filature, déménagée dans l’ancien couvent des Bénédictines (1806 – 1862) :

C’est celle qui a duré le plus longtemps. Le couvent des Bénédictines, racheté par les Visitandines en 1862 fut intégré à l’actuel collège Mignet, formant sa partie ouest (en bleu sur l’image ci-dessous) :

En bleu, l’ancienne filature de coton installée de 1806 à 1862 dans l’ancien couvent des Bénédictines – Aujourd’hui intégré au collège Mignet
– Source image : © Google Earth / 2020

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3 – La teinturerie de coton rouge (Début du XIXe ou fin XVIIIe – moitié du XIXe environ) :

Cette teinturerie, qui donna probablement son nom au quartier, a quant à elle disparu, bien que les murs qui l’ont accueilli aient continués leur existence jusqu’au XXe siècle.

Je n’ai pas de dates précises, ni pour son apparition, ni pour son transfert à la filature du centre-ville et donc pour la durée de son activité. Cependant, un document daté de 1793 (8) mentionne un ouvrier « …qui travaille au coton rouge… » donc peut-être à cette teinturerie des bords de l’Arc, qui existait probablement déjà, en admettant qu’il s’agisse de la même.

On peut donc estimer les dates suivantes :
1 – le début de son activité entre la toute fin du XVIIIe ou le début du XIXe ;
2 – la cessation de son activité en lien avec la filature Pastré dans le courant de la première moitié du XIXe siècle, lors de son rapatriement à la filature du centre-ville à cette époque.

– Voici son emplacement sur le cadastre napoléonien en 1829 :

Entouré en rouge : la « fabrique de Coton rouge » sur les bords de l’Arc sur le plan cadastral de 1829
– Source image : © Archives Départementales des Bouches-du-Rhône – Cote 3 P 34 – Feuille E1
Lien direct vers le document original

Son activité initiale avec la filature Pastré, déplacée dans le courant du XIXe siècle à la filature du centre-ville, n’a pas pour autant signifié la fin totale de l’activité de teinturerie sur place.

Pour preuve un annuaire de 1852 y indiquait toujours la présence d’imprimeurs en indiennes : « Ferrand, père et Fils – au Coton-Rouge » (9). Plus Pastré donc, mais Ferrand.

Arriva une période où l’activité y cessa définitivement. Ceci à une date que je ne suis pas en mesure de donner, faute de renseignements précis.

A partir de 1875, le décor l’entourant commença peu à peu à changer avec l’apparition du chantier du viaduc ferroviaire enjambant la vallée de l’Arc qui passait désormais jute à côté, ce viaduc fut inauguré en 1877.

Quant au terres qui l’entouraient, elle furent visiblement cultivées.

– Voici son emplacement en 1930 sur une vue aérienne recolorisée :

Entouré en rouge : l’ancienne fabrique de coton rouge en 1930 (vue recolorisée)
– Source image : © I.G.N. Géoportail / 1930

Au XXe siècle, un nouveau changement, majeur celui-là, s’invita dans le décor, avec en 1969 l’autoroute A8 et son chantier qui rognèrent le nord du terrain qui entourait cette ancienne teinturerie. Par ailleurs, si on compare la photo ci-dessous et celle ci-dessus, on remarque aussi que le tracé de l’Arc a été sensiblement modifié pour le passage de l’autoroute.

– Voici son emplacement en 1970 :

Entouré en rouge : l’ancienne manufacture de coton rouge en 1970, au nord de celle-ci, la nouvelle autoroute A8
– Source image : © I.G.N. Géoportail / 1970

La fin des années 90 marqua réellement le début de la fin pour ces bâtiments. La photo ci-dessous remonte à 1996, elle révèle un lieu sur sa fin, très endommagé et probablement squatté :

Les bâtiments qui formaient l’ancienne teinturerie de coton rouge, en 1996
– Source image : © IGN / Géoportail / 1996

Je me souviens très bien de cette vieille bâtisse en ruines au milieu d’un terrain en friche que je pouvais observer lorsque mon bus passait à côté en allant au collège de l’Arc de Meyran, situé non loin de là.

Ces constructions furent définitivement rasées entre 1998 et 2002 (date déduite selon les vues aériennes en ma possession, je n’ai pas la date exacte).

Le terrain qui accueillait cette ancienne teinturerie de coton rouge des bords de l’Arc est désormais vide et sert actuellement de lieu d’accueil pour diverses manifestations publiques (vide-greniers, cirques, concerts, etc…)

– Voici son ancien emplacement en 2020 :

Entouré en rouge : l’ancien emplacement de la fabrique de coton rouge en 2020
– Source image : © Google Earth / 2020

– Ci-dessous, un montage avec ces quatre mêmes vues avec une échelle et un cadrage identique :

L’évolution du quartier entourant l’ancienne manufacture de coton rouge des bords de l’Arc
-Images : © Archives Municipales des Bouches-du-Rhône, © IGN / Géoportail, © Google Earth

FIN


Sources :
(1) Statistique du département des Bouches du Rhône avec atlas, Volume 4 – page 671 – (1829)
(2) Proclamation du corps municipal / [Mairie d’Aix] du 20 avril 1791
(3) Le National du 10 mars 1878 (page 2, colonne 1)
(4) De la justice et des juges : projet de réforme judiciaire, mémoires pour servir à l’histoire d’un régime constitutionnel – Volume 2 – 1870 – (page 392)
(5) Le Mémorial d’Aix du 20 juin 1841 (pages 1 et 2)
(6) Le Mémorial d’Aix du 3 novembre 1861 (page 2, colonne 3)
(7) Le Mémorial d’Aix du 13 juillet 1862 (page 2, colonne 2)
(8) Pièces relatives à la fermeture des sections de la ville d’Aix, ordonnée par les commissaires Moyse Bayle & Boisset de la Convention Nationale, & procédure en dépendant (page 18 sur le scan – page 32 sur le document original) – Cote :
Aff. 1793.05.04, 2
(9) Indicateur Marseillais (1852) – page 758 sur Gallica
Image de couverture : par Yinan Chen de Pixabay 


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