La rue Bueno-Carriero

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Souvenez-vous, en janvier dernier, nous avions découvert l’ancien Palais des Comtes de Provence  ainsi que son quartier (n’hésitez-pas à allez (re)lire l’article pour vous remettre dans le contexte).

Nous avions vu que la destruction de cet édifice à la fin du XVIIIe siècle avait engendré un remodelage d’une partie du quartier qui l’entourait. Certaines rues ont tout bonnement disparu, tandis que d’autres ont été amputées. C’est justement l’histoire de l’une de ces dernières qui ont été raccourcies qui va être abordée aujourd’hui.

Les panneaux en français et provençal à l'entrée de la rue
Les panneaux en français et provençal à l’entrée de la rue

Certes de nos jours, la rue Bueno-Carriero n’est pas des plus pittoresque de part son apparence: elle est relativement courte, d’une largeur moyenne et ses façades n’ont vraisemblablement plus leur style d’antan, ceci étant du aux affres du temps et aux multiples travaux subis.

Le débouché sud de la rue Bueno-Carriero
Le débouché sud de la rue Bueno-Carriero

Cependant, un vieil adage dit qu’il ne faut pas se fier aux apparence, et cette rue en est un parfait exemple car nous allons découvrir que sous son air actuel des plus calmes, se cache un passé pour le moins sulfureux, que l’on aurait peine à imaginer de nos jours.


La rue Bueno-Carriero dans l’Histoire d’Aix :

D’un point de vue historique, cette rue fait partie des plus anciennes de la ville. A une époque où Aix était encore scindée en deux bourgs (la ville Comtale au sud et le bourg Saint-Sauveur au nord), celle-ci se trouvait au sud de la ville Comtale (voir sur les plans d’Aix au fil des siècles).

Elle est probablement apparue autour des XIIe est XIIIe siècles car d’après les écrits anciens, elle était appelée à cette époque « la rue du Four du Temple« , ceci en raison de la présence d’un four utilisé par l’ordre des Templiers qui étaient installés non loin. Les siècles suivants allaient lui apporter une autre particularité qui n’avait absolument plus rien à voir avec un four.

Cette rue allait en effet devenir un lieu d’accueil pour des maisons de débauches.


L’apparition des lieux de débauche :

Au XIVe siècle pourtant, rien ne la prédestinait à accueillir de tels établissements car il faut savoir qu’à cette époque, « …le 18 janvier 1324, le conseil de la ville d’Aix avait délibéré que les femmes publiques devaient paraître voilées en public sous peine d’une amende de 30 florins pour la première fois et d’une peine corporelle, pour la seconde… ».

Par ailleurs, des peines sévères contre ceux qui débauchaient les jeunes filles étaient appliquées, parmi celles-ci: le bannissement des terres de Provence, sanction à laquelle s’ajoutait la confiscation de leurs biens.

Le temps passa malgré tout et les choses changèrent, le changement fut tellement radical qu’au XVe siècle apparu le premier lieu public de débauche de cette rue, un unique établissement réservé à cet effet y fut autorisé « …en exécution des lettres patentes données en 1411 par Louis II alors Comte de Provence, relativement à la répression du luxe et du libertinage… ».

A compter de cette période, la rue allait connaître bien des appellations pour indiquer sa « fonction » et ses « occupants », des nominations relativement explicites :
Rue du Prostibule (du latin « protibulum« : prostituée, lieu accueillant des prostituées),
Rue de la Lupanarié (du latin « lupanarium« : lupanar ou bordel),
Rue « deis Peitraoux » (car les prostituées avaient, disait-ont, pour habitude d’y montrer leurs poitrine, une publicité pour le moins…efficace!) Précisons que cette autorisation exceptionnelle n’était permise que dans cette rue et pas dans le reste de la ville.

Le débouché nord de la rue Bueno-Carriero
Le débouché nord de la rue Bueno-Carriero

Plus tardivement, elle obtint le nom de Bueno-Carriero, soit la « bonne rue », un nom sous forme d’allusion ironique à la présence de tels lieux dans la rue. Et aussi surprenant que cela puisse paraître, ce nom est parvenu jusqu’à nous puisqu’elle le porte encore aujourd’hui. Malgré cette présence peu ordinaire, l’auteur Roux-Alphéran assure que « …de très honnêtes familles… » firent leurs résidence dans cette rue.


La rue et l’urbanisme :

Après avoir évoqué le passé particulier de cette rue, penchons-nous d’un peu plus près sur sa place dans la ville et ses transformations.

Pour rappel, on pouvait voir jusqu’à la fin du XVIIIe siècle le Palais des Comtes de Provence se dresser à l’emplacement actuel du Palais de Justice et de l’ancienne prison devenue Cour d’Appel.

Lors de sa destruction, le quartier parcouru d’étroites ruelles fut en quelque sorte remodelé et plusieurs de ces dernières furent alors retracées, élargies, amputées ou encore simplement rayées de la carte. La rue Bueno-Carriero existe encore en partie et est donc à considérer comme une miraculée.

– Sur le plan ci-dessous de Claude-Nicolas Ledoux au XVIIIe siècle, on peut voir le projet (en partie inachevé) de construction des nouveaux édifices calqué sur le tracé des anciennes ruelles. La majorité d’entre elles disparaitrons. La rue Bueno-Carriero est indiquée en rouge.

Le plan du projet de construction du futur Palais de Justice et des nouvelles prisons par Ledoux Plan: Claude-Nicolas Ledoux - Gallica-BNF (Voir dans les sources)
Le plan du projet de construction du futur Palais de Justice et des nouvelles prisons par Ledoux
Plan: Claude-Nicolas Ledoux – Gallica-BNF (Voir dans les sources)

A l’origine, la rue se prolongeait plus au nord. Son actuel débouché nord se trouve aux environs de ce qui était autrefois son centre, les façades visibles à l’ouest peu avant l’embranchement vers la rue des Chapeliers sont en réalité les vestiges du tracé que suivait cette rue. Les façades à l’est faisaient quand à elles partie d’un îlot aujourd’hui disparu, raison pour laquelle elles ne sont plus visibles.

Voyez l’illustration ci-dessous pour mieux comprendre:
En rose, sont représentés les édifices actuels. Les anciens tracés sont délimités en noir.
La rue Bueno-Carriero est indiquée en bleu et vert. Le bleu représente se qui en est toujours visible (tracé sud jusqu’aux façades nord ouest). Le vert représente ce qui a disparu à la fin du XVIIIe siècle (les façades centre et nord est). Comme on peut le voir, elle ne mesure aujourd’hui plus que la moitié de sa taille initiale.

Les modifications du tracé de la rue au XVIIIe siècle Illustration: © Aix en découvertes
Les modifications du tracé de la rue au XVIIIe siècle
Illustration: © Aix en découvertes

Voici les façades nord-ouest qui ont conservé l’ancien tracé de la rue. Les façades au nord-est qui leur faisaient face ont disparu lors de la destruction de l’îlot auquel elles appartenaient. Une partie de cet îlot d’habitations se trouvait là où sont aujourd’hui placées les toilettes publiques à l’arrière du Palais de Justice.

Les façades nord-ouest on conservé le tracé de la rue
Les façades nord-ouest on conservé le tracé de la rue

Les années passant, il est aujourd’hui bien difficile de trouver un vestige « authentique » dans cette rue Bueno-Carriero. Car entre les rénovations et les travaux en tout genres, on imagine bien que son apparence générale à quelque peu évolué.

On remarquera tout de même l’encadrement en pierre de cette porte au N°7  enserré entre deux devantures de commerces et qui semble bien seul. Cette maçonnerie semble être la dernière avec cette rustique apparence, ce qui laisse à penser qu’elle existait déjà bien avant la modification du quartier. Grace à elle on peut en partie imaginer à quoi pouvaient ressembler les demeures situées ici.

L'encadrement de la porte au N°7 est le dernier de la rue avec une apparence très ancienne
L’encadrement de la porte au N°7 est le dernier de la rue avec une apparence très ancienne

 En guise de conclusion :

Pour finir, voici deux vues représentant la rue au XVIe siècle avant le remodelage du quartier:

– En 1575 dans un ouvrage de Belleforest (le tracé de la rue est indiqué en rouge):

La rue et le quartier de l'ancien Palais Comtal sur un plan de 1575 Plan: Belleforest - Gallica-BNF (Voir dans les sources)
La rue et le quartier de l’ancien Palais Comtal sur un plan de 1575
Plan: Belleforest – Gallica-BNF (Voir dans les sources)

– En 1623 par le graveur Jacques Maretz (le tracé de la rue est indiqué en rouge):

La rue et le quartier de l'ancien Palais Comtal sur un plan de 1590 Plan: Maretz - Gallica-BNF (Voir dans les sources)
La rue et le quartier de l’ancien Palais Comtal sur un plan de 1623
Plan: Maretz – Gallica-BNF (Voir dans les sources)

 Sources écrites:
Répertoire des travaux de la société de statistiques de Marseille – 1843 (Google Books – Pages 172-173)
(Sources plus anciennes mentionnées dans l’ouvrage ci-dessus:
– Pierre-Joseph De Haitze: La topographie de la ville d’Aix
– Jean Scholastique Pitton: Histoire de la ville d’Aix
– Jacques Mourgues: Les statuts et coutumes des pays de Provence

Fauris St Vincent: Mémoires et notices relatif à la Provence)
Ambroise Roux Alphéran – Les Rues d’Aix – Tome 1
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Sources iconographiques:
Plan de Belleforest – 1575: Gallica – BNF
Plan de Jacques Maretz – 1623 : Gallica – BNF
Plan de Claude-Nicolas Ledoux – (fin XVIIIe): Gallica – BNF


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